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| Emma | Actualités lesbiennes

La Gay Pride de Paris, récupérée par les couloirs étroits de la politique

(Temps de lecture: 6 - 11 minutes)

La Gay Pride de Paris, récupérée par les couloirs étroits de la politique

Ca y est ! L’affiche officielle de la Marche des Fiertés de Paris 2025, dévoilée hier par l’Inter-LGBT, a déclenché un tollé immédiat, en particulier sur leur page Facebook. Et ce n’est pas sans raison, ni pour sa dimension « provocante » qui dérange — car l’art militant, par essence, bouscule, interroge et c’est tant mieux. Non, ce qui choque ici c’est autre chose : la rupture qu’elle incarne et la trahison symbolique qu’elle opère avec la communauté LGBT+.

Cette affiche ne représente pas du tout un débat sur les LGBT, elle impose une ligne politique. Elle ne donne pas à penser sur les droits des femmes lesbiennes, des hommes gays ou des personnes transgenres, elle désigne un ennemi et ajoute des causes qui ne concernent pas du tout les LGBT. Surtout, surtout... elle ne reflète pas la diversité de nos vécus : elle l’efface carrément au profit d’un récit idéologique.

À mes yeux, cette affiche trahit l’esprit même de ce pour quoi nous avons marché, aimé, milité, perdu, parfois survécu. Ce que la marche des fiertés portait autrefois : un cri d’amour, de liberté, d’universalité, un appel au respect dans toutes les langues et pour tous les corps, n'est plus. Oh, bien sûr j’entends déjà les réactions : « vieille boomer réac », « homo-cis-normée de droite », « lesbienne provinciale ».

Peut-être. Mais ce que je suis n’a pas besoin d’être validée par une posture militante pour être légitime.

Car le problème, ce n’est pas moi, le problème, c’est cette image et les messages qu'elle véhicule.

affiche pride inter lgbt 2025

On y voit un homme blanc caricatural pendu, étranglé par sa cravate dans une mise en scène où se mêlent brassards verts, keffieh, drapeaux palestiniens, gilet écolo, foulard islamique, slogans anticapitalistes, le tout couronné par un message appelant à l’union des « queers de tous les pays contre l’internationale réactionnaire ». En somme, un manifeste.

Mais pour quelle cause, exactement ?

Quel est le lien entre cette mise en scène et la réalité de nos luttes ? Où sont les lesbiennes rurales, les seniors LGBT, les jeunes en rupture familiale, les femmes trans harcelées, les réfugiés LGBT fuyant la persécution dans leurs pays ? Où est la communauté dans sa pluralité ?

affiche lgbt homme blanc pendu

Pour rappel, selon les dernières données de l’ILGA (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association) et d’Amnesty International, l’homosexualité est punie de la peine de mort dans les pays suivants :

  • Iran
  • Arabie Saoudite
  • Yémen
  • Mauritanie
  • Soudan
  • Somalie (notamment dans certaines régions sous contrôle d’Al-Shabab)
  • Afghanistan (depuis le retour des Talibans)
  • Brunei (lois de la charia activées en 2019, application fluctuante)
  • Nigéria (dans 12 États du nord qui appliquent la charia)
  • Émirats Arabes Unis (peine de mort théorique, parfois contournée par des peines de prison ou de flagellation)
  • Irak (zones sous influence de milices où des exécutions extra-judiciaires ont eu lieu)

À vouloir tout fusionner sous un même cri de guerre, on en vient à vider la Pride de sa substance. À faire d’un événement inclusif un outil de polarisation idéologique.

Sur X, la présidente d’Ile-de-France Valérie Pécresse (Les Républicains) a dénoncé une affiche incitant « à la violence avec son cadavre renversé » et annoncé avoir demandé le « retrait » du logo de la région et ne pas verser la subvention. Le Monde

L’Inter-LGBT n’a pas simplement publié une affiche : elle a posé une ligne rouge et nombreux sont celles et ceux, comme moi, qui ne souhaitent plus marcher derrière ce genre de signal.

Une fierté confisquée par un agenda politique

La Pride n’est pas née comme un rassemblement partisan, mais comme un cri de survie. Stonewall, c’était l’insurrection de marginaux, de femmes trans noires, de lesbiennes butch et de jeunes gays rejetés. Mais c’était aussi un appel à l’unité face à la violence, pas un outil de clivage ou de réécriture idéologique. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une perte de cette mémoire commune.

Il ne s’agit pas ici d’un débat droite/gauche. Il s’agit d’un débat démocratique.

revendication lfi

Depuis quand faut-il adhérer à une ligne partisane pour pouvoir marcher à la Pride ? Depuis quand faut-il se justifier d’un engagement intersectionnel pour avoir le droit de brandir un drapeau arc-en-ciel ? Depuis quand notre fierté lesbienne, gay, bi, trans, intersexe ou queer dépend-elle d’un manifeste politique centralisé ?

Cette affiche, et plus encore, le refus d’en débattre vu le nombre d'avis censurés et effacés sous le post de l'association, révèle un glissement dangereux : la transformation de la Marche des Fiertés en meeting idéologique. Avec, en arrière-plan, une mainmise de plus en plus visible de certains courants idéologique sur l’organisation et les mots d’ordre à tenir. 

Un danger pour l’unité et la visibilité lesbienne, gay, bi et trans

Nous ne voulons pas d’une marche aseptisée, nous ne voulons pas non plus d’une marche militarisée par des causes qui ne sont pas les nôtres, ou du moins, pas de cette façon.

Nous, lesbiennes de toutes origines, croyantes ou athées, militantes ou discrètes, de gauche ou apolitiques, urbaines ou rurales, refusons d’être associées à un discours qui exclut, qui divise et qui confond colère légitime et mise en scène d’un ennemi absolu.

inter lgbt marche paris 2025

Car ce que cette affiche provoque, au fond, c’est un effet miroir. Elle nous montre ce que nous avons peut-être trop longtemps ignoré : que notre mouvement est en train d’être confisqué, que nos luttes sont absorbées dans un discours globalisant qui ne nous voit plus.

Nous voulons une marche pour toutes et tous

La Pride n’appartient à aucun parti.
La Pride ne parle pas au nom d’une fraction.
La Pride n’est pas un prétexte pour jouer à la guerre froide avec le reste du monde.

Elle est un espace d’amour, de visibilité, de mémoire.

Elle est le droit de marcher sans étiquette.

Le droit d’être simplement soi.

Et c’est ce droit que cette affiche met en péril.

LFI marche fierté paris 2025

Notre appel

Nous appelons à un sursaut.
À une réappropriation de nos fiertés par celles et ceux qui les vivent au quotidien.
À la fin de l’entre-soi militant autoritaire.
Et à la création, si nécessaire, d’une Pride parallèle, apolitique, inclusive, indépendante.

Car ce n’est pas à nous de quitter la marche. C’est aux idéologues de cesser de nous y enfermer.

Seul réconfort, c’est la lucidité collective qui renaît

Le seul réconfort dans tout cela a été de lire les réactions spontanées des abonnés, massivement critiques :

Sur les 284 commentaires publics analysés (au moment où j'ai rédigé cet article) il y avait :

  • 🟥 271 personnes qui se déclaraient défavorables à cette affiche exprimant colère, déception, rejet ou inquiétude.

  • 🟩 7 soutiennent explicitement l'affiche et le message politique de l’Inter-LGBT.

  • ⚪️ 6 restent ambigus, ironiques ou sans position claire.

Autrement dit, moins de 3 % des personnes ayant réagi soutiennent cette représentation de la Pride.

L’association FLAG !, créée par des policiers et fonctionnaires de justice LGBT et associée à l’organisation de la marche, s’est « désolidaris[ée] totalement de cette affiche », dont elle a demandé le « retrait immédiat ». Le Monde

Ce n’est pas un débat théorique : c’est une fracture visible, une fracture que certains continueront de nier ou de mépriser, mais une fracture réelle, ancrée dans le vécu de personnes LGBT qui ne se reconnaissent plus dans ce que leur est imposé comme étant la bonne manière d’être queer.

defense-lgbt-gay-pride-paris-2025

Nous voulons pouvoir marcher en tant qu’individus, pas en tant qu’étiquettes.
Parce que nos existences ne sont pas des slogans, et que notre liberté ne se résume pas à des alliances de circonstance favorables aux prochaines élections d'une frange de la gauche qui détruit tout ce qu'elle touche, même elle-même.

Renversement de la critique en agression politique

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« L’Inter-LGBT fait l’objet, depuis deux jours, d’une attaque organisée de la droite et de l’extrême droite… »

Ce genre de formule, en tête de lettre, en dit long. Elle ne cherche pas à apaiser les tensions ni à ouvrir un dialogue : elle disqualifie d’emblée toute contestation en l’associant à un camp politique honni. Or, les critiques formulées depuis la publication de l’affiche de la Marche ne viennent pas de l’extérieur, mais bien du cœur de la communauté LGBT elle-même, des lesbiennes, des gays, des bi, des trans, des personnes non binaires, souvent militantes de longue date, parfois organisatrices d’autres prides, et dans tous les cas profondément engagées.

Les réduire à « la droite » ou à « l’extrême droite » est non seulement faux, mais profondément insultant. C’est une manière de fermer le débat, d’éviter de répondre sur le fond en collant une étiquette infamante à quiconque ose exprimer son malaise ou son désaccord. Une stratégie de disqualification morale vieille comme le monde militant, mais redoutablement efficace pour intimider et isoler celles et ceux qui ne marchent pas au pas.

Refuser cette logique, c’est rappeler qu’on peut être queer, radical·e, engagé·e pour les droits humains et ne pas cautionner cette récupération politique qui fracture au lieu de rassembler.

Mise en scène de la censure inversée

« On observe des contresens grossiers visant à décrédibiliser notre message (…) à censurer toute forme de parole militante et revendicative. »

Cette phrase mérite vraiment qu’on s’y arrête. Car le paradoxe est saisissant : c’est précisément l’Inter-LGBT qui, depuis hier supprime massivement des commentaires, verrouille ses publications, filtre les réactions, et fait taire des voix issues de sa propre communauté.

Des militantes lesbiennes, des personnes trans, des familles, des associations locales ou nationales ont vu leurs critiques disparaître, parfois dans l’heure, sans réponse ni discussion possible. Des centaines de messages ont été effacés. Et dans la même lettre où l’on parle de « censure extérieure », on nie littéralement l’existence de ces voix éteintes.

Inter-LGBT extrême droite

C’est donc une double violence : d’abord on exclut, ensuite on nie l’exclusion.

Parler de liberté d’expression tout en bâillonnant ses propres membres est une contradiction majeure, et un révélateur inquiétant. Quand une organisation censée défendre les droits des personnes LGBT devient sourde à leur pluralité d’opinions, ce n’est plus du militantisme : c’est du contrôle narratif. 

La seule parole militante autorisée devient celle qui valide la ligne officielle. Le reste ? Disqualifié, effacé, ou pire : assimilé à une menace extérieure.

Manipulation des symboles

L’un des points les plus révélateurs du communiqué de l’Inter-LGBT est sans doute cette phrase :

« Le personnage au premier plan n’est pas un cadavre, ni pendu. Il représente l’internationale réactionnaire. »

Cette tentative de désamorçage est presque surréaliste. Car si 98 % des personnes y voient un homme blanc traîné au sol, étranglé par sa cravate, c’est que le message visuel est raté. Et quand il faut trois paragraphes de justification pour expliquer une image supposée évidente, c’est qu’elle ne fonctionne pas. L’art militant peut être provocateur, symbolique, complexe, mais il ne peut pas être hermétique.

derive-militante-extreme-gauche

Surtout lorsqu’il prétend parler au nom de toutes et tous.

En s’abritant derrière une lecture codée, quasi universitaire, l’Inter-LGBT prend ses distances avec le réel. Avec les vécus, les sensibilités, les histoires — notamment celles de personnes ayant connu des violences réelles. Et ce sont ces vécus qui se sont exprimés en masse sous la publication supprimée.

Cette justification — « ce n’est pas un pendu » — ne répare rien. Elle aggrave le malaise, car elle nie la réalité émotionnelle perçue par des centaines de membres de la communauté.

Mise en scène du martyre

« Si ce mot d’ordre et cette affiche font l’objet d’une telle violence, c’est parce que certains préféreraient que l’on se taise. »

Cette posture est typique de ceux qui ne veulent pas entendre les critiques : se poser en victime, pour disqualifier tout désaccord comme une agression.

En brandissant le spectre d’une répression extérieure, l’Inter-LGBT tente de faire passer la contestation interne pour un assaut politique. Ce qui permet d’éviter les vraies questions. Ce qui permet aussi de confondre colère sincère et hostilité réactionnaire, comme si la douleur d’une lesbienne rurale ou la colère d’un homme gay de banlieue face à l’affiche valait moins que le mot d’ordre idéologique central.

inter lgbt victimisation

C’est une inversion totale du réel. Ce n’est pas l’Inter-LGBT qui est bâillonnée, ce sont celles et ceux dont les commentaires ont été effacés, dont les voix ne sont jamais relayées, qui se taisent aujourd’hui, non par choix, mais parce qu’on les a muselés ou menacés de censure.

Et s’ils parlent, on les accuse aussitôt de « faire le jeu de l’extrême droite ».

Voilà comment on fabrique un entre-soi, voilà comment on sabote une communauté.

Découvrez l'intervention de l'autrice iranienne Mona Jafarian

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