Skip to main content
| Admin | Histoire lesbienne et féministe

La disparition des bars lesbiens à Montréal

(Temps de lecture: 3 - 6 minutes)

la-disparition-des-bars-lesbiens-a-montreal

Le secteur du Plateau Mont-Royal, à Montréal, était autrefois un refuge pour les lesbiennes. Kim Brien se remémore des soirées où l'on avait l'impression d'être "dans un rêve", alors que les femmes dansaient, se contemplaient et flirtaient.

"Nous nous sentions libres. Nous avions vraiment l'espace pour être nous-mêmes", a partagé Kim Brien, actuellement dans la quarantaine, en se rappelant de sa jeunesse passée dans des bars où elle pouvait exprimer son homosexualité sans subir de jugements.

Elle mentionne également que le personnel connaissait bien ses habitués et qu'il existait un réel esprit communautaire.

Kim Brien fait partie de ces générations de femmes qui ont fréquenté les bars lesbiens de Montréal - une époque aujourd'hui révolue, au grand regret de nombreuses jeunes femmes lesbiennes.

Les années 1990 ont marqué le début de la fin de ces lieux, et en 2013, le Drugstore - le dernier bar lesbien de Montréal - a définitivement fermé ses portes.

Son enseigne distincte demeure visible sur la rue Sainte-Catherine dans le Village, mais la façade est barricadée et délabrée. Kim Brien se rappelle de l'endroit comme étant très dynamique avec ses terrasses toujours bondées.

Tara Chanady, responsable du Réseau des lesbiennes du Québec, précise que pour comprendre la disparition des bars lesbiens, il est essentiel de connaître leurs origines.

Un refuge au milieu de la répression légale

Les passants peuvent voir une pizzeria apparemment anodine sur la rue Sainte-Catherine sans se douter qu'elle abritait autrefois l'un des tout premiers bars lesbiens de Montréal, Le Zanzibar, dans les années 1950. À une rue de là, sur la rue St-André, se trouvait Les Ponts de Paris, qui a ouvert ses portes en 1955. Aujourd'hui, cet endroit est devenu un immeuble résidentiel.

Ces lieux étaient autrefois les seuls espaces où les lesbiennes pouvaient se rassembler à une époque où l'homosexualité était encore pénalement réprimée.

"Dans les années 1950, les bars étaient des lieux où les gens se réunissaient clandestinement pour pouvoir exister, pour pouvoir avoir des relations intimes, car c'était impossible ailleurs", a déclaré Mme Chanady.

D'après Line Chamberland, sociologue retraitée et ancienne directrice de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l'Université du Québec à Montréal, ces établissements étaient également des refuges sécurisés pour les homosexuels et les travailleurs du sexe. Selon elle, leur clientèle principale était composée de lesbiennes de la classe ouvrière.

Mais elle précise qu'ils étaient également la cible de descentes de police violentes et qu'ils étaient considérés comme "peu recommandables".

Dans les années 1970 et 1980, après l'émeute de Stonewall à New York qui a marqué le début du mouvement pour les droits des homosexuels, d'autres bars exclusivement pour les lesbiennes ont commencé à apparaître.

Tandis que les lieux pour les hommes gais se trouvent partout dans le Village, les bars pour lesbiennes étaient concentrés juste au nord, dans le Plateau-Mont-Royal. Cependant, avec la gentrification et la hausse des loyers, beaucoup n'ont pas pu survivre.

Aujourd'hui encore, le coût des loyers reste le principal obstacle à l'ouverture de nouveaux lieux, explique Mme Chamberland.

L'émergence des espaces mixtes

Le contraste est frappant avec le Village, qui abrite encore de nombreux lieux pour les hommes gais, notamment des bars en cuir, des clubs de danse et des clubs de strip-tease pour hommes.

Alexandra Ketchum, professeure de genre, de sexualité et de féminisme à l'Université McGill, pense que la disparité économique et l'écart salarial entre les hommes et les femmes sont en grande partie responsables de cette situation. En conséquence, il est plus difficile pour les bars lesbiens de maintenir une clientèle régulière et de générer des bénéfices.

Mme Chamberland précise également que, d'une manière générale, les femmes ont tendance à privilégier leur vie personnelle et privée, alors que la culture de la séduction est très répandue chez les hommes gays.

"Les femmes sont plus enclines à trouver une sociabilité basée sur leur réseau d'amis. Les hommes, en revanche, considèrent la vie publique et la présence de bars comme allant de soi", a-t-elle déclaré.

Elle a également mentionné un stéréotype répandu selon lequel les lesbiennes ont tendance à s'engager dans des relations à long terme et préfèrent rester à la maison avec leur partenaire plutôt que de fréquenter les bars. Elle souligne qu'il n'existe pas de données pour appuyer cette affirmation, mais pense que ce cliché a une part de vérité.

La disparition des bars lesbiens n'est pas unique à Montréal. Selon les données de Radio-Canada, il n'en reste plus aucun au Canada et il y en a moins de 20 aux États-Unis, dont un quart à New York.

L'émergence d'une culture queer, plutôt que simplement gay, a également conduit à la création de lieux plus inclusifs qui accueillent toutes les personnes sous l'ombrelle 2SLGBTQ+.

Près de deux décennies après avoir arrêté de fréquenter les bars lesbiens, Kim Brien, désormais mère de deux enfants, affirme qu'elle se sent très à l'aise lorsqu'elle sort avec sa partenaire.

"Aujourd'hui, les lesbiennes sont présentes partout. C'est beaucoup plus accessible. Nous pouvons aller dans n'importe quel bar et il est gay-friendly", dit-elle.

Mais elle admet que les espaces pour les lesbiennes manquent et qu'il serait agréable d'en voir plus apparaître.

Nouveaux collectifs

Pour combler cette lacune, des collectifs saphiques et lesbiens ou des événements axés sur le saphisme ont émergé ces dernières années. La plupart des collectifs changent de lieu pour chaque événement, mais certains établissements organisent des événements réguliers.

Par exemple, le bar Champs, situé sur le boulevard Saint-Laurent, a institué des "soirées gouines" chaque lundi, avec un succès éclatant. Le bar est décoré de drapeaux de la Fierté et comporte même un panneau avec l'inscription "Lesbiennes" en néon rouge cursif. Une politique stricte de non-haine et de non-harcèlement y est appliquée pour maintenir une ambiance accueillante et détendue.

Auparavant, Champs était connu comme un bar sportif avec une clientèle principalement masculine, mais cela a changé depuis.

L'Idéal, situé sur la rue Ontario, a également acquis une réputation d'endroit accueillant pour les homosexuels, car il héberge fréquemment des événements organisés par des collectifs saphiques, bien qu'il ne se définisse pas comme un bar gay.

Le manque d'espaces dédiés aux lesbiennes peut également compliquer la tâche de celles qui viennent de faire leur coming out et qui ont du mal à trouver leur place au sein de la communauté, a déclaré Mme Chanady.

Source : CBC.CA et Radio Canada