Marie-Antoinette était-elle lesbienne ?
Deux portraits peints par madame Vigée Le Brun de Marie-Antoinette et de Gabrielle de de Polignac
Eussions-nous posé la question à la fin des années 1780, la réponse aurait été un oui « franc et massif ». Pour le peuple de Paris, il était inconcevable que « l’Autrichienne » ne se vautre pas dans le sexe H24, comme on le dirait aujourd’hui, en particulier avec les dames de son entourage. C’est à cette époque qu’est paru un pamphlet assez glauque, Les Fureurs Utérines de Marie-Antoinette dont quelques vers en disent long :
La Cour ne tarda pas à mettre à la mode ;
Chaque femme à la fois tribade et catin :
On ne fit plus d’enfants : cela parut commode.
Le vit fut remplacé par un doigt libertin.
La révolution terminée, elle laissa place à son étude par les historiens.
Pendant plus de deux siècles personne ne fit allusion à cet aspect de la question, même pas l’écrivain autrichien Stefan Zweig dans une des toutes premières biographies de Marie-Antoinette en 1933.
Sommaire
Les Adieux à la reine : le coup de tonnerre
En 2012 sort le film de Benoît Jacquot, Les Adieux à la reine. Celui-ci est l’adaptation du roman éponyme de Chantal Thomas, paru dix ans plus tôt. Il y présente une Marie-Antoinette amante de la duchesse Gabrielle de Polignac.
Chez les historiens officiels c’est la révolution, sans mauvais jeu de mots.
Je n’ai jamais eu l’occasion de la regarder, mais il y aurait eu un « clash » dans une émission de télévision dont une des protagonistes était Évelyne Lever, historienne chercheuse au CNRS, spécialiste de Marie-Antoinette et auteure à ce titre d’une imposante biographie.
L’historienne a refusé et refuse de manière véhémente l’idée même que la reine de France eût pu être homosexuelle ni même bisexuelle.
Même le regretté Michel de Decker, l’historien spécialisé dans les secrets d’alcôve n’adhère pas à cette éventualité.
Leurs arguments ? Il n’existe aucunes preuves de relations saphiques de Marie-Antoinette. Ni témoignage direct, ni correspondance.
Soit, admettons…
Le choix d’Axel de Fersen
Si les historiens reconnaissent que Marie-Antoinette eût pu faire des folies de son corps, c’est indéniablement avec le beau comte suédois Axel de Fersen.
Celui-ci est arrivé en France dans les premiers jours de 1774, alors qu’il n’a que 18 ans, et a intégré la cour de Versailles. Il rencontre pour la première fois Marie-Antoinette, même âge, qui s’est « évadée » de Versailles le 30 janvier de cette année-là pour se rendre incognito au bal de l’Opéra à Paris. Leur première relation s’arrête là puisqu’Axel reprend le chemin de la Suède. Il retournera à Versailles pour quelques mois en 1779 et part se battre en Amérique d’où il ne reviendra qu’en 1784. À partir de cette date Marie-Antoinette et lui se fréquentent assidûment. En 1791 alors que les souverains sont assignés à résidence au palais des Tuileries, c’est lui qui organise la fuite à Varennes. En 1792, après la chute de la royauté, il quitte définitivement la France.
Unanimement, les historiens voient en lui l’amant de Marie-Antoinette, même si certains, plus circonspects, l’appellent « favori ».
Or, et c’est là « où le bât blesse », ici aussi il n’y a pas plus de preuves de cette liaison. Pas de témoignage direct, pas de correspondance. Tout au plus Michel de Decker mentionne la location discrète d’un pavillon dans l’enceinte de Versailles.
En 2020, Évelyne Lever triomphe car elle pense détenir la preuve des relations adultérines entre Marie-Antoinette et Axel. Ce dernier a connu également une fin atroce puisque le 20 juin 1810 il est lapidé par la foule de Stockholm qui l’accuse d'avoir empoisonné le prince héritier de Suède Charles-Auguste. Ses héritiers retrouvent sa correspondance qu’ils rendent publique, mais certaines lettres dans lesquelles est évoqué l’amour passionné pour une femme de France sont « caviardées » par ces mêmes héritiers. Il est donc impossible de savoir qui était cette mystérieuse femme. En 2019 ces courriers sont soumis à la nouvelle technologie de la fluorescence des rayons X. Évelyne Lever peut enfin prendre connaissance de ces échanges « en clair », elle se précipite pour écrire Le grand amour de Marie-Antoinette : Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen.
Fort bien. Mais, à regarder cet ouvrage de plus près, on voit certainement se dessiner une immense affection entre les deux personnes, mais, surtout beaucoup de propos politiques. Rien dans ces échanges épistolaires ne démontre que l’adultère « a été consommé ». S’il le fut, ce ne pouvait être qu’entre 1789 et 1792.
L’examen des faits
Certes, même si l’Histoire est mon métier, je ne suis aucunement historienne, et souvent j’ai avec elle des relations plus pragmatiques que scientifiques. Les Adieux à la reine, que ce soit le roman ou le film m’ont fait prendre beaucoup de recul vis-à-vis de l’historiographie officielle de Marie-Antoinette.
Un simple examen des faits, comme cela existe en Histoire et surtout dans le domaine judiciaire, nous amène à des conclusions beaucoup plus simples et réalistes.
Quand Marie-Antoinette arrive en France en 1770 pour se marier avec le Dauphin, futur Louis XVI, elle n’est encore qu’une adolescente de 14 ans. Sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche la marie, détail atroce, quelques semaines seulement après que sa fille est réglée. C’est une adolescente « évaporée » que sa mère elle-même traite de « tête à vents ». Malgré son jeune âge, elle réussit tant bien que mal à s’intégrer dans la vie de la cour de Versailles marquée par les frasques amoureuses de Louis XV.
Très vite, Marie-Antoinette confirme son caractère superficiel et se révèle être une « jouisseuse ». Attention, pas de malentendu sur ce mot : il ne veut dire que la future reine et la reine profite à plein de la vie. Marie-Antoinette aime les mets raffinés, les vins fins, de beaux atours (elle fera la fortune de sa couturière Rose Bertin), les beaux bijoux, les coiffures extravagantes. Elle ne se prive pas de danser, de chanter, de jouer la comédie, de dilapider le Trésor royal dans des jeux d’argent.
Maintenant, à qui veut-on faire croire que cet appétit d’exister s’est arrêté à la ceinture ?
Marie-Antoinette est une femme jeune avec des besoins de femme jeune.
Or, c’est ici que se situe le problème. Tout le monde sait que le Dauphin, puis le roi à partir de 1774, atteint d’un méchant phimosis, ne peut consommer son mariage. Ce n’est pas difficile d’imaginer la frustration de Marie-Antoinette, d’autant plus qu’elle est obligée de se prêter à plusieurs « essais » infructueux. Louis XVI, malgré sa grande carcasse (il mesurait près de 2 m et pesait au moins 100 kg) est un grand douillet prêt à tourner de l’œil lorsqu’il voit les instruments du chirurgien prévu pour le débrider. Cela durera pendant sept ans, jusqu’à ce que le frère de Marie-Antoinette, le futur Josef II, persuade son beau-frère de se laisser circoncire.
On s’imagine sans peine la détresse de Marie-Antoinette devant cette absence de plaisir physique. Compte tenu de son caractère, il semble presque impossible qu’elle se soit contentée de prendre son mal en patience. Prendre son pied, oui, mais avec qui ? Il est exclu que ce soit un homme. Même si Louis XVI était un peu benêt dans les choses de l’amour, on avait dû quand même l’informer que sa chère épouse devait encore avoir quelque chose qui lui montrerait qu’il était le premier homme à posséder sa femme. Et puis, avec qui ? Le bel Axel ne se trouvait plus à Versailles.
Or, dans ces années d’abstinence sexuelle forcée, deux femmes vont prendre une importance capitale dans la vie de Marie-Antoinette. La première est la princesse Marie-Thérèse de Lamballe, présente auprès de la jeune femme dès son arrivée à Versailles. Ici, les témoignages sont incontestables : la princesse et Marie-Antoinette étaient inséparables. Deux ans plus tard, lors d’un bal dans la Galerie des glaces, à l’instar des glorieux ancêtres de son mari, c’est Marie-Antoinette, elle-même, qui « repère » la comtesse Gabrielle de Polignac et l’invite à rejoindre son cercle privé devant tout le monde. La comtesse, avant de devenir duchesse de par la volonté de la reine, supplante la princesse et au vu de tous leur amitié devient fusionnelle. On voit les deux femmes partout, mais surtout au Petit Trianon, partant toutes deux seules en promenade se tenant par la taille. Certes, cette posture était moins significative qu’elle ne l’est aujourd’hui, mais n’oublions pas que Marie-Antoinette était la reine de France, donc, quasiment « intouchable », au sens premier du terme.
Au vu de tout cela, n’en déplaise aux historiens « aveugles », même si je n’ai pas leurs qualités, mon intime conviction et le pragmatisme me font dire que Marie-Antoinette, en l’absence de toute vie amoureuse avec le roi ou un autre homme, a bien eu des rapports lesbiens sentimentaux et sexuels avec Gabrielle de Polignac qui, elle-même, vivait séparée de son mari. Cela est peut-être moins vrai en ce qui concerne Marie-Thérèse de Lamballe. Cela ne correspond pas à sa personne. Il n’en reste pas moins qu’elle a été et restée une amie très fidèle. Ainsi, elle n’abandonnera pas la reine après la chute de la royauté et n’émigrera pas. Elle le paiera de sa vie dans des circonstances particulièrement atroces.
Enfin femme, mais vite lassée !
Enfin, en 1777, soit sept ans après le mariage, l’étroit prépuce de Louis est envoyé « ad patres ».
Marie-Antoinette n’est pas sauvée pour autant. Elle se confiera plus tard, racontant qu’une fois qu’il l’eut déflorée, le bon roi est resté immobile semblant attendre que « ça vienne tout seul… » Heureusement, Louis s’améliore et il dira lui-même qu’il a pris goût aux ébats conjugaux. La preuve : il fera quatre enfants à Marie-Antoinette en moins de huit ans. Il semblerait que ce soit la reine qui ait déserté la couche royale. Sans doute craignait-elle de devenir comme Marie Leszczynska, l’épouse du grand-père de son mari, Louis XV, qui ne lui avait fait pas moins de… dix enfants ! Et puis, pour parler trivialement, ce brave Louis XVI ne devait pas « être un bon plan ».
Après 1786, elle continue de fréquenter assidûment la duchesse de Polignac, n’ayant jamais réellement arrêté. C’est à ce moment-là que la rumeur populaire se déchaîne contre les deux femmes.
La Révolution
Comme le raconte Les Adieux à la reine, la prise de la Bastille marque la fin des relations entre Gabrielle et Marie-Antoinette. Le duc de Polignac, ayant parfaitement saisi le mouvement qui s’était amorcé, décide d’émigrer au lendemain du 14 juillet. Deux mois plus tard, la famille
royale quitte Versailles et est assignée à résidence au château des Tuileries dans Paris intramuros.
Le temps du bel Axel ?
Rien n’est moins sûr ! Les fictions qui relatent, entre autres, la fuite à Varennes, oublient souvent de mentionner que cette évasion rocambolesque a été financée par… la maîtresse d’Axel de Fersen, Eleonore Sullivan ! Après l’échec, sortie définitive du prétendu amant de la reine. À partir de Vienne il continuera cependant d’essayer de la sauver, y compris dans son cachot de la Conciergerie.
Chacun connaît la fin affreuse de Marie-Antoinette guillotinée le 16 octobre 1793 au seul motif du Tribunal Révolutionnaire d’avoir eu des relations incestueuses avec son fils Louis XVII, roi depuis le 21 janvier 1793 ! L’enfant, habilement manipulé par les révolutionnaires extrémistes, maintiendra son horrible témoignage et provoquera la mort de sa mère. Gabrielle de Polignac la suivra dans la tombe deux mois plus tard. On ne lui a jamais relaté la véritable raison de la mort de Marie-Antoinette dont elle a cru que son décès était dû à la maladie. Elle est enterrée au cimetière de Vienne et sur sa tombe est gravé : « Morte de douleur ». Sans doute une hyperbole qui laisse poindre le romantisme du siècle qui arrive. Cependant, il n’est pas interdit de penser que la séparation d’avec Marie-Antoinette a dû être à l’origine d’une très grave dépression dont elle ne se sortira pas.
Cela démontre, si besoin était, que la relation indubitablement lesbienne entre les deux femmes était aussi sentimentale que sexuelle et pas un pis-aller sur ce dernier plan.
Alors ?
Alors, il n’y a que l’esprit étriqué de certains historiens pour refuser la qualité de lesbienne ou tout au moins de bisexuelle à Marie-Antoinette. La nier est une faute contre le simple « bon sens » !
Cela démontre que malgré l’autosatisfaction de notre société d’être prétendument sortie de l’homophobie, certains pans entiers de notre culture sont malheureusement plombés par celle-ci et la lesbophobie en particulier.
Bonnes lectures.
Bibliographie
- Stefan Zweig - Marie-Antoinette (1933) - Le Livre de poche
- Évelyne Lever - Marie-Antoinette (1991) - Fayard
- Chantal Thomas - Les Adieux à la reine (2002) - Le Seuil
- Michel de Decker - Marie-Antoinette, les dangereuses liaisons d’une reine (2005) - Belfond
- Évelyne Lever - Le grand amour de Marie-Antoinette (2020) - Tallandie
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Le petit problème de Louis XVI m'a fait sourire. Merci.
Si les cours à l'école avait parlé de ce type de sujets, j'aurais certainement adoré l'Histoire.
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les lettres de Fersen, ont été décodées il y a quelques années, disons sans résultat d'alcôve: la reine était bien trop surveillée. Ce que n'étaient pas ses dames de compagnie, et ses favorites. Je partage l'analyse de l'article, en rappelant, même au moment de l'excellent film de maewen, que les codes de la cour de france étaient à des années lumière des nôtres. Mais il me plaît d'imaginer que Gabrielle ait pu être un réconfort pour la Reine. beau film.
Anaïs Dujardin
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Moi également j’ai souri quand tu précises « que si les cours à l’école avaient parlé de ce type de sujets, j’aurais certainement adoré l’Histoire ». C’est exactement la réflexion que m’a faite une de nos fidèles lectrices avec qui je corresponds depuis quelques mois. Elle est d’ailleurs une de tes plus grandes fans !
Naturellement, pour ne pas que ma hiérarchie me tombe dessus, j’essaie d’éviter de m’appesantir. Toutefois chaque année je dis à mes collégiens « Marie-Antoinette a sans doute trompé Louis XVI avec un comte suédois, Axel de Fersen, et la duchesse de Polignac, une de ses amies intimes ». C’est malheureusement tout.
Il ne nous reste que le plaisir de mettre en scène le lesbianisme dans l’histoire. À ce sujet, j’en profite pour te dire que j’ai adoré ton roman « Rhapsodies ». Bien sûr, je connaissais la souffrance des civils dans les camps d’internement japonais dans l’Asie du Sud-Est, mais pas dans le détail.
Cordialement, Anaïs Dujardin… du Jardin…