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| Anaïs Dujardin | Arts et Culture

Le premier magazine lesbien de l’histoire : « Die Freundin »

(Temps de lecture: 4 - 7 minutes)

Le premier magazine lesbien de l’histoire : « Die Freundin »

Comme vous l'avez constaté, nous avons changé de nom de domaine pour une représentation plus large sur les actualités que nous traitons. "Livres-lesbiens.com" est devenu "Lesbia-magazine", en hommage au premier magazine lesbien français publié entre 1982 et 2012, et en prévision d'un projet secret dont nous vous parlerons bientôt !

Pour l'occasion, nous vous proposons de découvrir l'historique du premier magazine lesbien de l'histoire : le "Die Freundin".

Sommaire

Il y a 100 ans naissait le premier magazine lesbien de l’histoire : « Die Freundin »

Il est un lieu commun de rapporter la soif de vivre qui a prévalu après la fin de la première guerre mondiale. « Les années folles » méritaient bien leur nom.

C’était vrai du côté des vainqueurs, mais encore plus en Allemagne. Non seulement on sortait de quatre ans d’une horreur absolue, mais le pays était humilié par sa défaite et avait manqué de sombrer dans le communisme suite à la révolution « spartakiste ». Cela se manifestait par une vie culturelle foisonnante de modernité. C’est la période de Bertolt Brecht, de Kurt Weill et de leur très moderne « Opéra de Quat’Sous » et des premiers pas du surréalisme.

Socialement, les années 20 sont sous le signe d’un appétit féroce de vivre et de s’amuser. C’est à cette période qu’apparaissent de très nombreux clubs de jazz noir-américain, et surtout les premiers clubs homosexuels.

C’est d’ailleurs là que se situe toute la contradiction de la nouvelle république de Weimar.

Alors que la tolérance est le mot d’ordre de cette jeune république, dans le code pénal existe toujours un alinéa datant de 1871, § 175 qui pénalise lourdement… l’homosexualité. Notons à ce sujet que celle-ci avait été dépénalisée en France en… 1791 (si, si !) Mais, je reviendrai plus loin sur le § 175.

Cependant, la liberté de la presse est constitutionnelle, donc le 8 août 1924 paraît le premier numéro du journal « Die Freundin » (la petite amie) exclusivement réservé aux lesbiennes.

Présentation

couverture magazine die freundin de 1930

Dans sa forme originelle, il s’agissait d’un petit format (A3 plié en deux ?) comportant huit pages. Il ne comportait ni photo ni illustration. Très vite il y eut quand même une photo à la une uniquement, très souvent un nu. Alors que le magazine s’étoffait en passant à 12 pages elle restera l’unique illustration.

Les fontes de caractère ne varient pas, sauf pour les petites annonces.

Diffusion

Naturellement, le premier réseau de distribution est celui de l’abonnement. Mais, très vite il sera distribué en kiosque. Parfois, à la une il est indiqué : « Ce journal peut être affiché partout », souvent au-dessus de l’image coquine ! La plupart des archives de ce magazine ayant disparu, détruites par les Nazis ou dans des bombardements, il est difficile d’avancer des chiffres, mais on peut considérer que la diffusion devait dépasser les 10 000 exemplaires. Chiffre énorme pour l’époque et pour le type de magazine !

De mensuelle la parution passera très vite à bimensuelle, pour devenir définitivement hebdomadaire deux ans après la première publication.

Ligne éditoriale

« Die Freundin » est uniquement un magazine lesbien. Même s’il s’en approche parfois, il n’a qu’une vague connotation féministe. S’il défend des droits c’est bien ceux de la différence et de l’acceptation d’autres sexualités. C’est ainsi qu’on n’y parle jamais de contraception, d’avortement, de divorce ou d’égalité des droits.

Officiellement le magazine se présente comme l’organe d’expression du « collectif pour l’ouverture des droits ». C’est une publication militante lesbienne.

Deux pages sont consacrées principalement à l’identité lesbienne. C’était pour les lesbiennes allemandes l’occasion d’échanger ou de communiquer leur image de soi, leurs rôles et leurs objectifs. Très vite se forme l’idée d’un « troisième sexe » pour caractériser les homosexuels, femmes ou hommes. On perçoit également un rejet unanime des discussions sur les différences entre lesbiennes (masculines ou féminines) qui d’après les contributrices perpétuaient et renforçaient les clichés vis-à-vis des homosexuelles. Il n’y a pas à proprement parler de rédactrice en titre de ces articles, mais une participation volontaire des lectrices qui expriment leurs attentes, mais également leurs craintes. Dans le numéro 10 du 14 mai 1926 il est par exemple question des « femmes homosexuelles et le vote au Reichstag ».

La seconde partie du journal est consacrée à l’édition de romans en plusieurs épisodes, de nouvelles et de poèmes. Toujours dans le numéro cité ci-dessus, existait un article sur la littérature trash, sans doute homosexuelle.

La une du numéro du 19 septembre 1927 présente le sommaire des nouvelles éditées :

  • Le secret de Germaine
  • Enfin tu es à moi
  • Le martyr de l’amour
  • Le travesti est libre comme l’oiseau
  • La vie ensemble ou pas ?

Enfin, la dernière partie est destinée aux annonces et à la publicité. Annonces privées, bien entendu, ou annonces de rencontre. On y trouve également des publicités pour des cabarets, pas forcément homosexuels, ou des annonces d’événements comme des fêtes dans des bars lesbiens.

L’équipe éditoriale

Étrangement, aujourd’hui il n’est plus possible de reconstituer qui était exactement responsable de la publication de « Die Freundin ». La seule certitude est qu’entre 1924 et 1925, c’est une certaine Anne Weber qui en est rédactrice en chef. En 1927 ce serait Elsbeth Killmer qui aurait repris la direction. Après 1930, tout aussi bizarrement ce sont deux hommes qui continuent d’éditer le magazine, Bruno Balz et Martin Radszuweit.

Le § 175

L’article du Code pénal allemand mentionné plus haut est sans doute à l’origine de la suspension de la publication de Die Freundin entre 1926 et 1929. Cela démontre encore une fois le « grand écart » de la république de Weimar entre l’intolérance légale vis-à-vis de l’homosexualité et la liberté de la presse.

Cet article sera du pain bénit pour le régime nazi installé le 30 janvier 1933 et servira à la répression de l’homosexualité jusqu’à la fin du troisième Reich.

Naturellement, Die Freundin sera interdit à partir du 8 mars 1933 en tant qu’organe de presse « décadent ».

Si la répression contre l’homosexualité masculine fut terrible (le triangle rose dans les camps de concentration) se terminant toujours par la mort, paradoxalement la majorité des lesbiennes échappa aux poursuites. Il y a plusieurs explications à ce phénomène. Premièrement, le déni pur et simple. Dans la société nazie la femme était considérée comme une citoyenne de second ordre. Elle était juste utile à faire des enfants. C’est la période du KKK, Kindern (les enfants) ; Kuche (la cuisine) ; Kirche (l’église). Dans ces conditions, il était impensable que les femmes eussent des besoins sexuels ou une vie telle ; encore moins entre elles… Ensuite l’image de la femme androgyne n’était pas pour déplaire aux dirigeants nazis qui vouaient un véritable culte aux femmes guerrières dont les fameuses Walkyries. Donc, à condition de rester discrètes, les lesbiennes n’étaient pas trop inquiétées, par exemple, la parade pour les couples consistant à se faire passer pour des colocataires plutôt que pour des compagnes. Par contre des militantes telles que Clara Schröder ou Eva Kotchever ont fait l’objet d’un internement sous le triangle noir (individus asociaux).

Pour en savoir plus, je vous recommande les excellentes pages du site du Mémorial de la Shoah : https://expo-homosexuels-lesbiennes.memorialdelashoah.org/expositions.html

L’article 175 ne sera abrogé qu’en… 1996 !

Die Freundin ne reparaîtra plus après la guerre. Il reste cependant le premier magazine lesbien à avoir été édité officiellement et amplement.

Un espace de liberté et d’expression pour les lesbiennes qui ne réapparaîtra en France qu’en 1982 avec… Lesbia magazine !