Avis sur "Le génie lesbien", d’Alice COFFIN
Alice Coffin est une figure centrale des luttes féministes et LGBT françaises et internationales. Elle contribue depuis plusieurs années à renouveler la réflexion et les pratiques journalistiques. Elle a cofondé l’Association des journalistes LGBT, la Conférence Européenne Lesbienne et la LIG (Lesbiennes d’Intérêt Général), et est activiste au sein du collectif féministe La Barbe. Elle enseigne par ailleurs à la Sorbonne et à l’Institut Catholique de Paris. Elle est aussi élue écologiste au Conseil de Paris depuis 2020. Elle y siège en tant que membre de la majorité.
Livre et quatrième de couverture :
« Enfant, je m’imaginais en garçon. J’ai depuis réalisé un rêve bien plus grand : je suis lesbienne. Faute de modèles auxquels m’identifier, il m’a fallu beaucoup de temps pour le comprendre. Puis j’ai découvert une histoire, une culture que j’ai embrassées et dans lesquelles j’ai trouvé la force de bouleverser mon quotidien, et le monde. »
Journaliste dans un quotidien pendant plusieurs années, la parole d’Alice Coffin, féministe, lesbienne, militante n’a jamais pu se faire entendre, comme le veut la sacro-sainte neutralité de la profession. Pourtant, nous dit-elle, celle-ci n’existe pas.
Dans cet essai très personnel, Alice Coffin raconte et tente de comprendre pourquoi, soixante-dix ans après la publication du Deuxième sexe, et malgré toutes les révolutions qui l’ont précédée et suivie, le constat énoncé par Simone de Beauvoir, « le neutre, c’est l’homme », est toujours d’actualité. Elle y évoque son activisme au sein du groupe féministe La Barbe, qui vise à « dénoncer le monopole du pouvoir, du prestige et de l’argent par quelques milliers d’hommes blancs. » Elle revient sur l’extension de la PMA pour toutes, sur la libération de la parole des femmes après #Metoo ; interroge aussi la difficulté de « sortir du placard ». Et sans jamais dissocier l’intime du politique, nous permet de mieux comprendre ce qu’être lesbienne aujourd’hui veut dire, en France et dans le monde.
Combatif et joyeux, Le génie lesbien est un livre sans concession, qui ne manquera pas de susciter le débat.
Source : Grasset éditions - Coffin, Alice. Le génie lesbien, Grasset.
La chronique
Je commencerais simplement mon retour subjectif de lecture par cette évidence : ce livre est à mettre entre les mains de toutes les femmes d’ici et d’ailleurs. L’idée n’est pas de faire la guerre à l’homme blanc cis genre pour le plaisir de l’imiter mais bien de cesser d’être la petite souris que personne n’écoute. Alors il faut hurler pour se faire entendre, et brandir les armes pour résister à l’oppression.
Le terme « combat » est d’ailleurs étroitement lié à la conquête des droits par les femmes depuis les premières révolutions féministes. Il faut nécessairement deux opposants dans une bataille et la gent féminine doit alors affronter la domination du sexe fort pour se lancer à la conquête de son dû. Alice Coffin n’est pas victime collatérale de ce conflit ancestral mais bien une témoin qui décide de ne plus se taire et dresse le constat affligeant d’un spectacle quotidien.
« Ceci est le livre de combat d’une femme qui a été aimée, respectée, valorisée par des hommes depuis sa plus petite enfance. Je n’ai pas d’autres traumatismes à livrer que celui induit par le spectacle quotidien du comportement des hommes. »
Elle se fait journaliste de guerre pour témoigner de la lutte des femmes, des lesbiennes et des féministes à travers le monde et les époques.
« J’ai acquis mes outils de lutte grâce au journalisme média, métier que j’ai exercé, à temps plein, de 2004 à 2015. À 20 Minutes, à l’Association des journalistes LGBT (AJL) que j’ai initiée en 2013, j’ai appris à décrypter la fabrication des représentations médiatiques et leur impact sur nos imaginaires. Les dénoncer, les remplacer, reste mon quotidien. »
Sans pour autant accabler les femmes hétérosexuelles dont elle faisait partie jusqu’à son coming-in, elle dresse un état des lieux alarmant sur leur situation et dénonce le regard que portent les hommes et la société sur ces femmes qui acceptent dans une inconscience collective, la suprématie de l’homme blanc.
« Dans la réalité, presque toutes les femmes en couple hétéro morflent. Souvent à cause de leurs maris. Toujours à cause du regard extérieur. Cela m’était insupportable lorsque j’ai été en couple avec des garçons. Les comportements des serveurs, des proches, des banquiers, des agents immobiliers fonctionnent avec un biais hétéro-binaire. Lorsque des gens voient une fille et un garçon main dans la main, ils adoptent, en mode automatique, des réactions différenciées envers l’homme et la femme. Ce n’était pas le pire. Je crois que ce qui me faisait le plus peur, quand je débarquais en milieu hétérosexuel, c’est-à-dire à peu près partout, un garçon à la main, c’était le contentement un peu sournois que cela provoquait chez moi. Je sentais aux regards que j’étais validée, que j’étais dans le cadre, que je correspondais. Je voyais bien que j’offrais du bonheur. J’imagine qu’il est difficile de renoncer à cette approbation générale. Je n’ai pas eu à me forcer. »
Alice Coffin trouve sa planche de salut le jour où elle peut affirmer face au monde, face aux hommes, la tête haute, avec fierté : « Je suis lesbienne ».
« J’entends parfois des femmes se désoler de ne pas être lesbiennes. « Mais bon, lancent-elles, fatalistes, je ne suis pas attirée par les filles, j’aime les mecs. » Elles ramènent cela à ce que l’on nomme l’« orientation sexuelle ». Je ne suis pas sûre que cela veuille dire grand-chose. L’hétérosexualité ne se résume pas à une attirance. Dans les formulaires, les enquêtes sociologiques, les départements des ministères, être lesbienne, c’est cocher une case dans la catégorie « orientation sexuelle ». Mais je ne suis pas lesbienne par orientation, par attraction, comme le vent nordit. Les lesbiennes ne sont pas des homosexuelles. Qu’est-ce qu’une lesbienne, alors ? La question est posée à la première ligne du manifeste des Radicalesbians en 1970. Leur réponse : « Une lesbienne est la rage de toutes les femmes condensée en un point d’explosion. » »
Être lesbienne serait donc bien plus qu’une orientation sexuelle : un art de vivre, d’être à soi en dehors de l’approbation des hommes et du patriarcat en général. C’est pouvoir s’amender de leur présence et enfin les regarder en face, pointer du doigt leurs méfaits, leur mépris et leurs incessantes dérives. Afin de poursuivre cette quête de justice, Alice Coffin rejoint diverses associations (collectif La Barbe, AJL…) qui marqueront son éveil au combat féministe et parcourt le monde pour entendre celles qui se battent et celles qui se sont battues toute leur vie. Le constat est le même à chaque fois, le féministe c’est la plus grande guerre de l’humanité face à l’homme qui tue, massacre, extermine, muselle les femmes, comme un dommage collatéral à sa quête de liberté et de pouvoir dans un silence puant. Et dans le pays des droits de l’Homme, en 2022 le constat reste le même…
« Les meurtres de femmes par leurs conjoints ou ex-conjoints, c’est un Bataclan par an. 130 mortes. Plus, même. Où est la déclaration d’état d’urgence ? Où sont les mesures de déradicalisation contre ces assassins ? »
Bien sûr, tous les hommes ne sont pas comme ça et rassurez-vous, messieurs, toutes les femmes ne sont pas des féministes hystériques… Ainsi le #notallmen est l’unique réponse à #balancetonporc ou encore le salvateur #metoo. Comme le dit si bien Charlotte de Bruges « je ne suis pas misandre, j’ai un frère ». Car face à la montée de la colère contre l’oppression, la réponse appropriée ne peut être que : Mesdames, ne généralisez pas en disant « Les hommes », nous ne sommes pas tous comme ça. Une victimisation excessive qui vise à jeter le discrédit sur cette colère qui enfle et gronde. « La généralisation nous est interdite. Il est prohibé de prononcer l’expression « les hommes » pour dénoncer leurs méfaits. Crime de les(e)-majesté. Sacrilesge. #Notallmen. « Tous les hommes ne sont pas comme ça » est la réplique dégainée dès que nous nous autorisons à dresser quelques constats sur la brutalité masculine.(…)Loin de se priver de dire « les femmes », les hommes s’autorisent même, sans vergogne, de fréquents « la femme ». Les féministes reprennent d’ailleurs, chaque 8 mars, journée internationale des droits des femmes, les dizaines de journalistes qui claironnent « Et bonne journée de la femme ! ». Alors, oui, je dis « les hommes ». »
Moi qui qualifie volontiers les journalistes de gribouilleurs de torchons, bien plus attachés au scandale qu’à la réalité, j’ai trouvé dans ce récit la pertinence du travail acharné, tant sur le fond que sur la forme. Il fallait rendre les investigations accessibles et l’argumentaire facile à appréhender. Ce livre est documenté, fouillé, argumenté dans une écriture fluide qui tient plus de la plume romanesque (dans le sens le plus honorable du terme) que de la lourdeur de celui qui veut se faire valoir dans une approche élitiste de son sujet afin d’écarter de la réflexion ceux qui pourraient lui faire opposition.
Et il en fallait, de l’éloquence, pour me convaincre que, dans ma mémoire, s’est endormie la fille rebelle à qui on a appris à être une femme discrète. Moi qui, comme beaucoup de femmes, ai appris à vivre sans déranger les autres tout en acceptant d’être bousculée par le machisme d’une société faite par et pour les hommes. Moi qui ai appris à chuchoter au milieu des grosses voix et des cris des hommes qui ont besoin d’entendre leur écho.
Merci, Alice Coffin, d’être venue réveiller la féministe qui sommeillait et d’avoir rendu sa fierté à la lesbienne qui ne savait plus comment justifier son besoin d’écrire des histoires de femmes qui s’aiment, qui se détestent, qui élèvent des enfants, mais surtout, qui le font loin des hommes. Ce livre vient vous cueillir dès les premières pages avec une douce virulence qui vous fait tendre l’oreille.
Soyez la femme que vous voulez être, mais sans renoncement, sans sacrifice, en toute liberté.
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Magali Junjaud
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