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| Emma | Billets d'humeur

Témoignage - Être une fille non-binaire : Comment j'ai cru être un garçon ?

(Temps de lecture: 5 - 9 minutes)

Témoignage - Être une fille non-binaire : Comment j

Dysphorie... Kesako ? Je ne connaissais pas ce mot à l'époque, pas plus que le terme "non-binaire". J'ignorai d'ailleurs que j'étais autiste asperger (c'est important de le signaler car la dysphorie de genre touche davantage les personnes autistes). J'ai appris bien plus tard par ma psy à la clinique asperger de Montréal - vers l'âge de 35 ans environ - qu'autisme asperger et dysphorie de genre était étroitement liés.

De ce dont je me souviens de mes plus lointains souvenirs d'enfance - peut-être à 3 ou 4 ans - j'étais persuadée qu'il me manquait quelque chose dans ma culotte. Dit comme ça, c'est assez drôle. Et pour ce qui était de mon entrejambe, je n'appréciais pas cette partie de mon anatomie. D'autant plus que je voyais mes copains uriner debout alors que je devais m'asseoir. Bref, mes questionnements ont émergé dès l'enfance et j'ai choisi de vous en parler dans ce nouveau billet d'humeur.

Sommaire

Ma dysphorie de genre a débuté très tôt

Je "ressentais" qu'une erreur avait été commise lors de la conception de mon corps.
Les jouets de mes amis me paraissaient bien plus amusants et fascinants que les miens, alors que moi, je devais m'accommoder de poupées, coiffer des cheveux rêches et porter ce rose qui me donnait la nausée !
Ma mère se rappelle le jour de mes 4 ans où j'ai décidé de couper les cheveux (et la tête - oups) de la jolie poupée "Emily" qu'elle m'avait offerte pour Noël, se sacrifiant avec son petit salaire. Le même jour, j'ai trouvé une petite voiture rouillée près d'une bouche d'égout qui deviendrait mon jouet préféré jusqu'au Noël suivant.

Bien sûr, ma mère se posait quelques questions. Elle avait eu trois filles, j'étais la dernière, et la seule à agir de manière aussi inhabituelle. (Comprenez de façon peu conventionnelle à l'époque où l'homosexualité était un sujet tabou - c'était dans les années 80 tout de même.)

Même ma sœur aînée qui jouait au rugby à l'âge de 14 ans, n'avait jamais rejeté ses poupées ou refusé de s'habiller avec des vêtements de fille ! Quant aux robes, n'en parlons pas. Je partais en crises de colère et de larmes pour ne pas en porter.  Sans oublier que pour ma mère, la surprise avait été de taille le jour de ma naissance.

"Ce sera un garçon", avait déclaré le médecin avec assurance le jour de l'échographie...

Qu'était-il arrivé entre le 3e et le 9e mois, pour qu'il y ait une erreur sur le produit annoncé ?
Avait-il vu un pénis, et si "oui", où était-il passé ? Je me le demande encore !

Je me souviens de toutes les fois où je rendais visite aux amies de ma maman, elle demandait systématiquement à leur "fifille" de me montrer leur chambre et leurs magnifiques collections de Barbies... Pauvre de moi qui ne rêvais que d'entrer dans celle de leur frère où j'avais remarqué les Playmobil, jeux de construction et autres jouets pour garçons.

Garçon manqué, fille accomplie ?

Les filles m'ennuyaient, bien que je les trouvais jolies à souhait... mais au bout du compte, je ne m'amusais qu'avec les garçons.
Très tôt, j'ai dû leur montrer que je n'étais pas tout à fait une fille. Je ne me laissais pas faire ni impressionner par eux. J'avais du caractère, je jouais aux billes, au foot, je connaissais par cœur les noms des Chevaliers du Zodiaque et, par-dessus tout, j'étais imbattable à Street Fighter !
M'imposer auprès des garçons était devenu un réflexe et le problème était le suivant : je ne voulais pas seulement être "comme eux", je voulais être eux, une sorte de garçon, mais avec un vagin puisque je ne pouvais pas avoir de pénis !
Malgré les années, ces ressentis ne se dissipèrent pas, au contraire.

Le rejet du corps

Il paraît que nous passons tous par là.
Hétéro ou homo, fille ou garçon, l'adolescence est ce moment à la fois fabuleux et ingrat de la vie où nous faisons face aux regards des autres, mais surtout au regard sur nous-même.
L'image de l'individu que nous voyons chaque jour dans le miroir n'est pas l'idéal que nous en faisons. Trop gros, trop maigre, trop pâle, trop foncé... on examine chaque petite partie de notre visage ou de notre corps et rejetons ce véhicule de chair qui nous cause bien des dommages psychologiques que l'on pense irréversibles.
Je détestais cette espèce de poitrine difforme qui sortait de mon torse, ces poils durs et hideux qui apparaissaient sur mon pubis. Mes fesses grossissaient et mon visage semblait difforme. L'acné, n'en parlons même pas.
Pire que tout, je tombais amoureuse de toutes mes amies qui sortaient avec des types canons auxquels je rêvais de ressembler, sans comprendre pourquoi eux me couraient après !
Pourquoi étais-je dans ce corps miteux ? Et pourquoi autant de garçons me demandaient de sortir avec eux ? Je n'y comprenais rien... d'autant que je ne faisais aucune sorte d'effort pour ressembler à mes amies, et de surcroit, je piquais les fringues de mes copains ! Chaque jour, au lycée, c'était jeans larges, pull à capuche, basket... Je trainais avec eux, je surfais, faisais du skate, buvais des bières... je n'avais strictement rien de féminin et d'ailleurs, beaucoup de mes copines s'en amusaient, jouant à sur une sorte d'ambiguïté étrange en se collant systématiquement à moi "comme des soeurs", disaient-elles ! Drôle d'approche de la sororité, mais j'adorai ça !

Je ne comptais plus les filles que j'aimais en cachette. 
Et c'était cela le plus douloureux. Se sentir dans le mauvais corps, dans la mauvaise chaire... Mais n'était-ce pas cela l'adolescence ? Le rejet de soi-même, vouloir être quelqu'un d'autre, penser qu'on serait plus heureux si nous étions différents ?

De l'adolescence à l'âge adulte

Enfant des années 80/90, comme toutes les femmes ou les hommes de ma génération, accepter mon homosexualité fut complexe. Savoir était une chose, le dire en était une autre. Quant à l'idée même d'être un garçon dans un corps de fille, fallait pas pousser mémé, même si c'était exactement ce que je ressentais par moment. 
La stabilisation de mon système hormonal me démontrera pourtant par la suite ce que signifiait être "non-binaire".

C'est vers l'âge de 21 que j'eus ma première relation lesbienne avec une belle parisienne de 6 ans mon aînée et qui avait un petit garçon de 4 ans. Grand amour, grande peine, on s'en souvient toute. Next...
Si j'étais garçonne avec mes "petits copains", étrangement, ma féminité s'exprima quand j'eus mes premières petites amies. Et je ne parle pas de la féminité stéréotypée quand nous sert dans les magazines : jupe, robe, maquillage dégoulinant, faux cils, faux seins et autres marquages du troupeau que je détestais... Non, je parle de sensibilité, de cette émotion que Jung appelle communément Anima : la part de féminité chez l'homme, et Animus, la part de masculité chez la femme. 
C'est en lisant Jung, que j'ai compris que nous avions toutes et tous ces deux énergies actives en chacun de nous, plus ou moins exacerbées chez les un.es ou chez les autres, ces énergies vitales qui constituent l'équilibre de chaque humain, quel que soit le sexe et le genre.

L'acceptation d'une évidence

Il en faut des années, de l'expérience, de la réflexion et des remises en questions pour accepter qui on est. Et l'acceptation vient uniquement de soi, pas des autres, pas de leur regard. Les gens se moquent de qui nous sommes, de comment nous nous sentons. Ils sont trop préoccupés par leurs propres émotions, centrés sur leurs propres ressentis.

Le jour où j'ai compris que la seule chose qui me rendrait heureuse était de m'aimer telle que je suis, cette dysphorie s'est peu à peu effacer.

J'ai compris que changer de corps ne changerait pas mon mal-être au même titre que mes nombreux voyages n'ont jamais effacer mes problèmes, mais les ont simplement déplacés d'un point A à un point B. 

J'ai accepté que je me sentais parfois garçon, parfois fille, selon mes humeurs, selon mon cycle menstruel, selon que mes petites amies soient plus féminines ou plus masculines.

J'ai accepté que rien n'est linéaire ni binaire, même si nous vivons dans un monde binaire depuis la nuit des temps. S'accepter soi est la base pour être heureux. Et quand je pense à toutes ces jeunes femmes qui, ces dernières années, se sont précipitées vers des thérapies de transition en pensant que changer de corps leur permettrait de s'aimer davantage, j'ai un soupçon de peine.

J'aurai pu transitionner

Je le pourrai encore aujourd'hui puisqu'il n'y a pas d'âge. Je le pourrai avec le soutien de mes proches avec lesquels j'ai déjà évoqué ce sujet. Serais-je heureuse pour autant dans un autre corps ? Sans ma micro-poitrine, avec de plus gros abdos, des muscles, une barbes,  avec un pénis artificiel qu'il me faudrait "gonfler" avec un appareil pour faire l'amour, et en prenant le risque de perdre ma sensibilité sexuelle ou ma sensibilité tout court ? Je sais aussi que les hormones à ingérer jusqu'à la fin de mes jours pourraient contrevenir à ma santé générale... Alors je ne sais pas. Peut-être changerais-je d'idée demain... Peut-être qu'un événement majeur dans ma vie me fera changer d'avis, mais je sais qu'aujourd'hui je suis dans ce corps plus ou moins androgyne avec des attributs de femmes et que ceux-ci me conviennent ou non, je n'ai aucun garantie que d'autres attributs me conviendront.

Toutes ces réflexions, ce cheminement m'a permis seulement de comprendre que le corps matériel n'est pas ce qui importe. Facile à dire quand on est en couple, me diriez-vous ? Facile à dire quand on a déjà 40 ans et plus de la moitié de notre vie est derrière nous. Peut-être. Chaque histoire est différente. Il n'y a pas de procédure universelle ni de mode d'emploi qui conviendra à tout le monde. La dysphorie d'identité ou de genre exige un cheminement personnel qu'on peut faire seul ou accompagné... mais accompagné des bonnes personnes, pas d'idéologues ou d'activistes violents qui veulent renforcer leur rang pour ne pas "souffrir seuls".

Ce corps, ce que vous voyez, n'est pas qui je suis. Ce n'est pour moi qu'une enveloppe, un outil, un vecteur qui n'est utile que pour l'expérience du monde matériel. Selon mes croyances, ce n'est pas ce corps, cette chaire en décomposition avec date de péremption, cette prison matérielle que j'emmènerai sur l'autre rive, mais ce que j'ai "mis" à l'intérieur : mes expériences, mes lectures, mes joies, mes voyages, l'amour de mes proches et de mes animaux.

Puis comme on nous le répète : ce n'est pas l'habit ne fait pas le moine !