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| Anaïs Dujardin | Billets d'humeur

De la frustration d’être lesbienne…

(Temps de lecture: 4 - 7 minutes)

De la frustration d’être lesbienne…

Étrange assertion, allez-vous me dire, surtout ici !

Tout à fait d’accord, mais je m’explique.

Pour reprendre les pensées de Simone de Beauvoir ou de Monique Wittig, que j’ai exposées ici même, chaque femme naît homosexuelle. Il est dommage qu’elle ne le reste pas. Bon, nous n’allons pas nous battre sur les chiffres, mais la réalité, dans toute sa crudité, nous enseigne que la part d’homosexuels est plutôt décourageante. Du coup, et nous sommes ici en plein dans la ligne de la seconde auteure citée, les plaisirs de la vie s’adressent à la majorité des gens qui se croient bien à l’aise dans leur prétendue normalité. Et parmi ces petits agréments, il y a la littérature. Bien sûr, et ce n’est pas moi qui vais contredire, une partie de celle-ci est heureusement engagée dans le monde lesbien.

Cela dit, et je pense que cela vous est déjà arrivé, combien de fois ai-je été frustrée que la plupart des héroïnes « de papier » soient indécrottablement hétéros, et tombent amoureuses d’un mec, et même, comble de l’horreur, se marient et ont des enfants avec lui ! Je pourrais vous en donner des centaines d’exemples, mais deux de mes personnages de littérature contemporaine me marquent tellement que j’ai envie de parler d’elles. Toutes deux sont issues de l’imagination de l’auteure américano-britannique, Rhys Bowen, productrice de plusieurs best-sellers dont deux séries mettant en scène une jeune femme qui se trouve mêlée à des enquêtes policières, dans des thrillers délicieux.

Georgiana de Rannoch

C’est l’héroïne de la série « Son espionne royale enquête ». Une jeune aristocrate des années 1930. Elle est la cousine du roi d’alors, George V, puisqu’elle descend comme lui de la reine Victoria qui était leur grand-mère et arrière-grand-mère. Cela ne veut pas dire qu’elle fait partie des gens fortunés et bien en vue. Au contraire. Cadette de son demi-frère, le duc de Rannoch, elle est complètement désargentée et dépend du bon vouloir de son horrible belle-sœur Hilda, surnommée Fig. Mais Georgiana est une jeune femme indépendante, qui défend la place des femmes dans cette société post-guerre, et malgré son autocritique, bien jolie. Donc, dès les premières pages, je suis tombée éperdument amoureuse de cette aristocrate.

Georgiana décide donc de quitter le château familial lugubre pour la résidence londonienne de la famille, car on veut la marier contre son gré. Hélas, sa volonté faiblit vite, car elle n’a absolument aucun moyen d’existence, et elle se rend vite compte qu’ayant été servie toute sa vie, la vie quotidienne, même faire une tasse de thé relève de la gageure. Pour couronner le tout, elle est d’une maladresse quasiment maladive qui est rédhibitoire pour trouver un travail, mais me provoque des fous rires inextinguibles. Je ne l’en aime que plus… !

Malheureusement, dès le début de la première histoire, elle tombe amoureuse du fils d’un comte irlandais, Darcy O’Hara. Sniff ! Une lueur d’espoir lorsqu’elle rencontre sa meilleure amie de pension suisse, Belinda. Déception, quand on apprend que celle-ci est une croqueuse d’hommes !

Malgré mon « chagrin », je suis tellement éprise de lady Georgiana que j’ai lu les 16 tomes de la série (il me reste le 17e que je garde en réserve pour faire durer le plaisir). Seul hiatus pour celles qui seraient intéressées, les traductions françaises sont très en retard.

Molly Murphy

D’emblée, c’est encore pire que la série précédente, car aucun livre de la série qui en compte 20 n’a été traduit.

Nous sommes en 1900. Molly est une jeune femme irlandaise d’à peine 20 ans, qui, bien sûr, a une opulente chevelure auburn et des yeux verts. Au début du premier tome, elle fuit l’Irlande persuadée d’avoir tué le fils du patron de ses parents en lui fracassant le crâne contre la cuisinière alors qu’il essayait de la violer. Par un hasard extraordinaire, on lui propose de prendre l’identité d’une autre femme avec un billet de 3e classe pour un passage vers New York.

Avant de débarquer, on découvre un cadavre parmi les passagers de cette classe. Elle est alors retenue, ainsi que tous les autres passagers de 3e dans les locaux de l’immigration de la mythique Ellis Island. Elle est interrogée par le capitaine de la police New-Yorkaise, Daniel Sullivan. Mise hors de cause, elle est libérée. Le capitaine Sullivan lui propose un hébergement, et tente alors de la séduire. Elle trouve alors refuge chez d’autres Irlandais où elle est très mal reçue. Parallèlement à cela et pour se dégager des soupçons qui pèsent sur elle, elle mène sa propre enquête sur l’assassinat du paquebot. À cette occasion, patatras, elle revoit le capitaine Sullivan, et le malentendu levé (il l’avait prise pour une femme mariée en fuite de son domicile), les sentiments se mettent à naître entre les deux. Bouh !…

Dans le tome suivant, Molly veut devenir détective privée, ce qui, même dans la société new-yorkaise de 1902, est absolument inimaginable. Dans le même temps, elle finit par se faire mettre dehors de l’endroit où elle vivait. Désespérée, elle se réfugie dans un café pour boire et manger un morceau. Là, elle fait connaissance de deux femmes qui lui paraissent étranges. En particulier une qui a les cheveux très courts, également impensable au début du XXe siècle. En plus, celle-là même est habillée en homme et fume le cigare ! Les trois femmes sympathisent tout de suite. Les deux étrangères se présentent comme étant Helena Goldfarb et Augusta Walcott, alias Sid et Gus. Elles proposent à Molly de l’héberger. Celle-ci accepte très vite, tout en comprenant les véritables liens qui unissent ces deux nouvelles amies.

Sid et Gus deviendront des personnages récurrents pendant toute la série, venant ainsi édulcorer ma déception que Molly ne soit pas lesbienne elle aussi. Sid et Gus affichent sans état d’âme leur homosexualité, et leurs fortunes personnelles leur permettent de vivre sans contrainte une vie débridée en multipliant des expériences qui le sont tout autant : construire une yourte dans leur salon, tenter de se convertir au bouddhisme, et d’autres choses tout aussi farfelues les unes que les autres. Leur relation avec Molly évoluera vers une amitié fusionnelle. La jeune irlandaise quittera vite le domicile de ses amies pour aller s’installer dans la maison d’en face, dans le fameux quartier de Greenwich village. Daniel Sullivan continuera de faire sa cour à Molly, au grand dam de Sid et Gus, les relations avec ce catholique irlandais étant un peu aigres-douces à cause de leur style de vie. De son côté le couple lesbien ne cessera plus de l’appeler « le félon », Molly ayant découvert qu’il était déjà fiancé. Une belle occasion pour adopter un style de vie différent. En vain.

Oui, j’aime d’amour la belle Molly. Pour sa vie, pour son féminisme, son enthousiasme en face de la vie ! Et puis les personnages de Sid et Gus me réjouissent.

Et les autres…

J’ai pris comme exemple Georgiana et Molly de Rhys Bowen, mais j’aurais pu tout aussi bien prendre Vicky Hill ou Kat Stanford de Hannah Dennison ou Delilah de Julia Chapman. Des héroïnes de romans thrillers britanniques.

Et je ne parle pas de certains personnages de la littérature classique.

Alors oui, les voir vivre une histoire d’amour autre que saphique me déprime profondément. Que ne donnerais-je pour voir Emma Bovary embrasser une autre femme ? Manon Lescaut mourir dans le désert dans les bras de son amante mademoiselle des Grieux qui la rejoindrait vite ?

Si tout comme moi, vous êtes frustrées de voir vos héroïnes de papier se contenter d’être « normales », alors n’hésitez pas à commenter mon billet !