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| Alexia Damyl | Billets d'humeur

"May december" L’amour n’a pas d’âge, l’assertion est-elle aussi vraie qu’on le prétend ?

(Temps de lecture: 4 - 8 minutes)

"May december" L’amour n’a pas d’âge, l’assertion est-elle aussi vraie qu’on le prétend ?

Hier, ma moitié et moi avons vu le film May december, libre interprétation des dernières années d’amour entre Mary Kay Letourneau et Vili Fualauu, par le réalisateur Todd Haynes et dont les rôles féminins principaux sont tenus par Natalie Portman et Julianne Moore. Film américain ayant reçu les acclamations de la critique, il n’a toutefois reçu aucune récompense au festival de Cannes de 2023. Nous ne pouvons que le regretter ;-)

À la sortie de la salle obscure, nous n’avions en effet qu’une envie : continuer à débattre autour de la psyché des personnages et des faits d’actualité semblables qui continuent de défrayer la chronique. Qui a fixé la limite arbitraire de la majorité sexuelle ? Quand une histoire d’amour peut-elle être considérée comme un crime ? L’amour aurait-il vraiment un âge ? Et qu’en est-il dans nos romans ?

Sommaire

Synopsis de May December

Cela fait près de vingt ans que Gracie Atherton a épousé Joe Yoo, un Américano-Coréen plus jeune qu’elle de vingt-trois ans. Cette romance avait fait la une de la presse people, notamment en raison de leur importante différence d’âge car lui, n’était alors âgé que de 13 ans. Le couple vit désormais à Savannah et reçoit la visite d’une actrice, Elizabeth Barry (en l’occurrence, Natalie Portman). Celle-ci s’apprête en effet à incarner Gracie sur grand écran et fait des recherches pour préparer son rôle.

Le débat

En France, avoir une relation sexuelle avec un partenaire dont l’âge est inférieur à quinze ans quand l’écart d’âge du couple est supérieur à cinq ans est un délit. En France, rouler plus vite que 130km/h sur autoroute par temps sec est un délit quand en Belgique une limitation de vitesse de 120km/h vaut quel que soit le temps ou qu’en Allemagne on se contente de recommander de ne pas dépasser les 130 au compteur.

En matière d’amour, est-il nécessaire de fixer une norme ? Ou pourrait-on se contenter de recommandations ? Car si le sexe se voit normé, les sentiments peuvent-ils être retenus, empêchés par un décret ? Je vois déjà les associations de protection des mineurs s’offusquer de ma liberté de penser. Il s’agit de faire en sorte que des adolescent(e)s dont le cerveau n’a pas terminé de maturer ne se voient pas étouffés par l’emprise d’un majeur dont les intentions a minima étonnent, au pire scandalisent. La maman que je suis verrait d’un mauvais œil, cela ne fait aucun doute, l’approche de ma fille de bientôt 15 ans par une personne de vingt ans son aînée. Le premier mot qui me viendrait serait « prédateur ». Pourtant, quand les sentiments s’en mêlent, sont-ils véritablement en train de s’emmêler ?

Une étude scientifique qui élargit le débat

Si la question concernant des mineurs paraît brûlante, et que l’atmosphère malaisante du film associée à un jeu d’acteurs porté par une Natalie Portman aussi sulfureuse qu’ambigüe ne permet pas de lui attribuer de réponse manichéenne, qu’en est-il lorsqu’il s’agit de deux adultes consentants ?

Je me rappelle du lycée. J’étais en terminale, lui en seconde. Pour une malheureuse année d’écart (je vois les mathématiciennes s’affoler, j’avais un an d’avance), nous étions parfois moqués par des camarades. Si l’écart de quelques mois ou ans à cet âge là se voit comme le nez au milieu de la figure, plus les années passent et moins il semble évident aux yeux du monde. Seriez-vous capable de dire que votre voisine de 27 ans sort avec une femme plus jeune ou plus âgée quand celle-ci a peut-être trente ans tous juste révolus ? Non. Et dans les faits, plus nous avons vécu, plus la différence d’âge peut augmenter entre les membres du couple sans toutefois constituer un pourcentage important de la durée de vie de chacun de ses deux membres. Je m’explique : 3 ans d’écart d’âge à 12 ans représentent 25% du temps déjà vécu, 3 ans d’écart d’âge pour une personne de 30 ans ne sont plus que 10% de son temps de vie.

Il m’a donc semblé intéressant de lire les études menées par l’Université Emory d’Atlanta et portées par Hugo M. Mialon sur les facteurs qui influencent la durée d’un mariage. J’ai en particulier décortiqué « A diamond is forever end other fairy tales : the relationship between wedding expenses and marriage duration ». D’emblée, les biais expérimentaux sautent aux yeux : on parle bien de durée de mariage et non de couples épanouis et heureux… Le divorce n’est pas seul indicateur de réussite conjugale. Les scientifiques ont de plus analysé les données recueillies auprès de 3000 couples : les données démographiques sont donc limitées avec un échantillon majoritairement hétérosexuel, blanc, d’un âge certain et ayant fait des études universitaires. Les résultats sont-ils transposables à la communauté LGBT ?

Malgré tout, puisqu’en matière d’enfants (les nôtres ne sont pas plus gays que ceux issus de couples hétérosexuels par exemple) et d’autres variables étudiées, les couples LGBT ne semblent pas tellement s’écarter des résultats qu’obtiennent les couples hétérosexuels, on peut raisonnablement penser qu’ils le sont. Aussi, bien que certains bonheurs de personnalités publiques semblent contredire les statistiques, la différence d’âge idéale dans un couple serait d’un an entre les conjoints. Les couples mariés possédant cet écart d’âge n’auraient en effet que 3% de chances de se séparer (le taux de divorce n’augmente pas de façon significative pour un écart compris entre 0 et 3 ans d’écrart), alors que pour un écart de 5 ans les chiffres montent à 21% et continuent de grimper dangereusement au-delà chaque année supplémentaire au-delà des 9 ans augmentant le risque de 39%.

L’intérêt de cette étude est l’utilisation d’un modèle de régression qui permet d’isoler différents facteurs tels le revenu, le niveau d’éducation, la fréquentation religieuse et l’histoire relationnelle.

Ainsi, pour des amoureux(ses) ayant plus de 20 ans d’écart, le risque de divorce serait de 95%.

Le bon sens suffit à expliquer ces chiffres : les attentes irréalistes d’une vision initiale trop romancée du mariage, des dynamiques de pouvoir qui se déséquilibrent quand l’un mûrit, grandit ou que l’autre vieillit, des difficultés à se connecter à l’autre lors d’étapes de vie différentes, l’inégalité financière créant des relations de dépendance… Mais Dieu merci, tous les facteurs qui ont des impacts sur les chances de divorce n’ont pas été pris en compte dans cette étude qui se doit d’être nuancée. Et en cela, la psychologie humaine est passionnante car quelles que soient les prédictions, les sentiments et les individus peuvent les déjouer.

Et dans les livres alors ?

La femme du crépuscule de Pauline THEISSOT-PEYRIOT est l’exemple le plus criant qui me vient à l’esprit avec une différence d’âge d’une génération entre les deux héroïnes. Le thème semble sous-exploité dans la littérature lesbienne et surtout traité dans des situations où il y a enjeu de pouvoir (Morgane de toi de Tan Elbaz, Cocktail d’Alexia Damyl, Madame Queen ou Close to the edge de Kyrian Malone, Une vie à la volée ou Les 8 mercredis d’Eglantine Bau).

Les rides seraient-elles moins vendeuses qu’une blonde sexy un peu perdue tombant sous le charme de la brune bikeuse et masculine qu’elle réussit à adoucir ? Les épreuves de la vieillesse rebuteraient-elles les lectrices en quête de scènes de sexes ou de positions que les rhumatismes empêcheraient ? Ou est-ce simplement l’imaginaire des autrices qui refuse de se perdre dans les jeunes années des héroïnes ou au contraire dans celles qui marquent la fin de la vie active ? Pour coller au plus près de ce qui fera écho à leur lectorat s’interdiraient-elles de raconter les tranches de vie amoureuses de jeunes filles découvrant les plaisirs saphiques ou au contraire, de femmes ayant roulé leur bosse ?

Je détournerai pour conclure l’aphorisme de Blaise Pascal « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ». Il est ainsi heureux de constater la complexité intime des trajectoires humaines qui défient les pronostics que ce soit in real life ou via l’imaginaire (littérature, septième art…).