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| Anaïs Dujardin | Arts et Culture

Monique Wittig, une icône incontournable et complexe du féminisme et du lesbianisme

(Temps de lecture: 3 - 6 minutes)

Monique Wittig, une icône incontournable et complexe du féminisme et du lesbianisme

Voici déjà plusieurs semaines que j’avais envie d’écrire au sujet de Monique Wittig dont on a fêté ce 3 janvier les vingt ans de sa disparition. Outre des problèmes personnels, je me suis vite rendu compte de l’immensité de la tâche. Rédiger quelques dizaines de lignes sur cette femme hors du commun m’est tout de suite apparu comme forcément réducteur. C’est un livre complet qu’il faudrait lui consacrer. Je me lance quand même avec comme seul objectif de lever un voile sur elle et de vous donner envie d’en savoir plus.

L’écrivaine

Monique Wittig est née en 1935 dans le petit village alsacien de Dannemarie. Elle est issue d’une famille modeste mais conservatrice.

Elle se fait d’abord connaître en tant qu’écrivaine. En 1964, elle fait paraître L’Opoponax du nom d’une plante médicinale. C’est un roman (auto)biographique. Bon, disons-le tout net, son abord est assez difficile. Monique Wittig a fait le choix d’un récit au style purement descriptif, sans aucun dialogue, sans paragraphe. Elle utilise en outre le pronom indéfini épicène « on », sans doute les premiers essais de l’écriture inclusive. En outre, la situation du narrateur varie entre un point de vue interne et externe (l’auteure se désignant sous son nom – Catherine Legrand –). Elle est très proche de ce qu’on appelle « le nouveau roman » et l’impressionnisme littéraire de ce mouvement, en particulier avec Nathalie Sarraute (dont elle deviendra l’amie). L’Opoponax est immédiatement repéré par la romancière Marguerite Duras qui en fait une critique élogieuse :

« Mon Opoponax, c'est peut-être, c'est même à peu près sûrement le premier livre moderne qui ait été fait sur l'enfance. […] C'est un livre à la fois admirable et très important parce qu'il est régi par une règle de fer, celle de n'utiliser qu'un matériau descriptif pur, et qu'un outil, le langage objectif pur. […] Ce qui revient à dire que mon Opoponax est un chef-d'œuvre d'écriture parce qu'il est écrit dans la langue exacte de l'Opoponax. »

— Marguerite Duras, L'Opoponax (postface)

L’année même de sa parution le roman et la romancière sont couronnés par le prix Médicis.

L’esprit de l’époque n’y étant pas, l’aspect lesbien de cette œuvre (l’histoire d’amour entre deux petites filles) passe complètement inaperçu.

On ne peut pas en dire autant de ses deux romans suivants, Les Guérillères (1969) traitant d’une communauté guerrière et lesbienne ou du Corps lesbien (1971) qui font scandale.

La militante féministe

En 1968, elle crée avec ses amies Antoinette Fouque, Christine Delphy et Josiane Chanel Les petites marguerites, un groupe d’obédience maoïste, révolutionnaire et altermondialiste. En 1970 elle dépose avec d’autres femmes une gerbe sur la tombe du soldat inconnu en hommage « à celle qui est plus inconnue que le soldat inconnu ». Cette manifestation, sous la banderole « la moitié des hommes sont des femmes » peut être considérée comme l’acte fondateur du MLF.

Monique Wittig est de toutes les luttes de ce mouvement mythique. En particulier les droits à la contraception et à l’avortement. En mai 1970 elle écrit dans le mensuel polémiste L’Idiot international un appel à la prise de pouvoir politique des femmes dans une dialectique de dictature du prolétariat. L’historienne et spécialiste de l’histoire des femmes Marie-Jo Bonnet, qui rejoint le MLF en 1971, écrit :

« Monique Wittig […] est certainement la femme qui m’a donné envie de rester au MLF. […] Elle incarne la créativité du mouvement, l’accès à l’écriture, et cette bienfaisante parole poétique qui me changeait de la langue de bois marxiste ou freudienne très à la mode alors. »

La militante lesbienne – Les lesbiennes ne sont pas des femmes

En marge du MLF, elle crée avec la même Christine Delphy Les gouines rouges, un collectif lesbien qui crée un véritable tollé, y compris à l’intérieur même du MLF. Ce qui débouchera en 1976 sur la rupture entre Monique Wittig et le mouvement qu’elle avait contribué à créer.

Plus tard elle écrira qu’il y avait eu « une véritable purge à son encontre ».

Dès lors, après sa fuite pour les États-Unis devant sa marginalisation dans le MLF, elle se consacre entièrement au militantisme lesbien et à sa théorisation. Déjà, dans Le Corps lesbien elle avait conceptualisé l’hétérosexualité comme un système uniquement politique.

Au début des années 90, Monique Wittig développera sa pensée dans un recueil de conférences qu’elle a données depuis les années 80 : La pensée straight. Difficile, pour ne pas dire impossible de résumer cette œuvre en quelques mots. Disons cependant que Monique Wittig reprend sa conception politique de l’hétérosexualité. Celle-ci n’est aucunement la constatation de différences entre les hommes et les femmes, mais une simple construction politique visant à assurer la domination masculine et le besoin d’assurer la reproduction de l’espèce humaine. Pour Wittig les femmes ne sont pas nécessairement liées aux hommes, les lesbiennes échappent à ce système de pensée. Elle reprend également la célèbre phrase de Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe : « On ne naît pas femme, on le devient ». Elle reconstruit cette citation : « On n’est pas femme, on le devient ».

Monique Wittig ira même plus loin en affirmant : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes » en précisant tout aussitôt après « ce qui fait une femme c’est une relation particulière à un homme, en relation à laquelle les lesbiennes échappent en refusant de devenir ou de rester hétérosexuelles ». C’est ce qu’on appelle désormais le lesbianisme radical.

Cela revient à dire que la sexualité est absolument indépendante du genre. On peut considérer alors que Monique Wittig a été la première à conceptualiser le non-binarisme.

Voilà, j’ai essayé, et j’espère que j’y suis parvenue à présenter Monique Wittig de la façon la plus claire et simple possible, quitte à caricaturer sa pensée ce dont je m’excuse auprès des puristes.

Hommage

Depuis 2020 il existe à Paris un « Jardin Monique Wittig » dans le 14e arrondissement dont la création a été votée à l’unanimité par le Conseil de Paris. Ce square reprend certaines citations issues du roman Les Guérillères. https://www.paris.fr/lieux/jardin-monique-wittig-2739

Monique Wittig est enterrée au Père-Lachaise.

Enfin, le site incontournable si vous souhaitez en savoir plus sur Monique Wittig :

https://www.moniquewittig.com/fr/homepage_fr