Skip to main content
| Anaïs Dujardin | Arts et Culture

Simone de Beauvoir, la joie et le drame dans la vie de Violette Leduc

(Temps de lecture: 4 - 7 minutes)

Simone de Beauvoir, la joie et le drame dans la vie de Violette Leduc

En 2013, lorsqu’est sorti le film de Martin Provost, Violette, je dois avouer que celui-ci est resté complètement en dehors de mes préoccupations d’alors. Ce n’est que quelques années plus tard, davantage préoccupée de tout ce qui avait trait au lesbianisme, qu’une amie m’a prêté le DVD de ce film. À l’époque, je dois avouer qu’il ne m’avait pas enthousiasmée. Très vite, j’ai réalisé que cela n’était pas dû à ce biopic en lui-même, mais à son fond. En effet, il y a peu j’ai pris connaissance de la biographie de Violette Leduc de Carlo Jansiti, puis de l’essai de René de Ceccaty, L’éloge de la bâtarde. Cela m’a donné envie de visionner à nouveau le film de Provost sous un jour nouveau. Effectivement, c’est l’histoire elle-même qui m’avait laissé une impression de regret, pour ne pas dire de frustration. Le film est pourtant magnifiquement servi par Emmanuelle Devos (Violette Leduc) et Sandrine Kiberlain (Simone de Beauvoir).

Violette Leduc, bâtarde, laide et lesbienne

Il faut dire que la vie de cette auteure ne peut pas laisser indifférent.

Violette naît le 7 avril 1907 à Arras. Elle est la fille illégitime de Berthe Leduc et d’André Debaralle, un fils de bonne famille de la bourgeoisie de Valenciennes, et qui bien évidemment ne la reconnaît pas. Elle commence ses études à l’internat de Valenciennes. Elle fait connaissance d’Isabelle P. avec qui elle a une relation d’amour passionnée (le futur sujet de Thérèse et Isabelle). Trois choses lui sont alors parfaitement acquises : elle est bâtarde, laide et lesbienne. C’est à cette époque qu’elle découvre ses premières passions littéraires (Cocteau ; Gide ; Proust et Rimbaud), aidée par une surveillante de son nouveau lycée à Douai, Denise Hertgès, qui devient son amante. Elles sont découvertes et renvoyées de l’établissement. En 1926, Violette quitte le Nord pour Paris avec sa mère et son beau-père. Elle est inscrite au lycée Racine et échoue au baccalauréat. Majeure, elle quitte le domicile familial pour aller vivre avec Denise d’avec qui elle se sépare neuf ans plus tard. Entre-temps elle vit de ce qu’on appelle maintenant « de petits boulots », échotière, puis scénariste. C’est à cette occasion qu’elle rencontre Maurice Sachs, écrivain et aventurier homosexuel dont elle tombe éperdument amoureuse. En 1939, un peu en avant l’entrée en guerre de la France, elle épouse finalement Jacques Mercier, un photographe de seconde zone. Pendant la guerre elle se réfugie à Enceins, petit village de Normandie où le couple vit de marché noir (le début du film de Provost). Fréquentant toujours Maurice Sachs, celui-ci lui conseille d’écrire ses souvenirs d’enfance, elle rédige donc L’Asphyxie. Ce roman repéré par Albert Camus est publié chez Gallimard, sans aucun succès. Cependant, elle attire l’attention d’écrivains renommés, dont Jean-Paul Sartre et surtout… Simone de Beauvoir. Pour Violette, c’est le coup de foudre. Commence alors une véritable passion dévastatrice, mais malheureusement à sens unique. C’est à cette époque, un peu avant la publication du Deuxième Sexe, que Simone de Beauvoir renie véhémentement son homosexualité et même sa bisexualité. Violette Leduc racontera cette passion à sens unique dans L’affamée, que l’on peut considérer comme une sorte de poème en prose.

La déception de sa vie et la reconnaissance

Pour en revenir au film de Martin Provost, cet amour y est présenté presque comme du harcèlement. Cela ne fut certainement pas le cas. Malheureuse, frustrée, Violette accepte cependant l’amitié de Simone. Celle-ci débouche très vite sur une collaboration entre les deux écrivaines. Simone de Beauvoir croit et croira très longtemps au talent de Violette. C’est à cette époque que celle-ci fait connaissance de Jacques Guérin, le célèbre parfumeur français, créateur de la marque Guerlain. Elle s’éprend également de cet homme, qui, tout comme Maurice Sachs, est cependant homosexuel. Pourtant, celui-ci n’y voit donc qu’une simple amitié, et surtout une admiration devant les talents d’écrivaine de Violette Leduc. Il décide alors de la financer secrètement en lui versant une petite pension par l’intermédiaire fictif de Gallimard. Les années 50 voient la publication à succès de son roman Ravages par Gallimard. Cependant, la joie de Violette est ternie par une censure de plus de 150 pages de son texte. Celles qui contiennent des scènes de sexe explicites. Ce demi-échec, ajouté à son rejet de Simone de Beauvoir de sa passion amoureuse, va la précipiter dans un état dépressif extrêmement grave à tendance paranoïaque. Simone de Beauvoir emploie alors son prix Goncourt qu’elle vient de recevoir pour Les Mandarins pour continuer à verser la pension de Guérin et la faire soigner dans une clinique psychiatrique privée à Châtenay-Malabry. Guérie, elle quitte alors Paris pour s’installer dans une petite maison dans le village de Faucon dans le Vaucluse. Le succès arrive enfin, en particulier avec une réécriture condensée de Ravages, sous le titre Thérèse et Isabelle, même si les scènes érotiques sont toujours supprimées. Elle vend alors sa maison de Provence et retourne à Paris. En 1970 elle publie La folie en tête, que malgré leur amitié, désormais, Simone de Beauvoir critique fortement. C’est à ce moment que la Radio-Télévision Suisse lui consacre une émission dans laquelle elle reviendra sur ces années difficiles d’écrivaine. C’est alors qu’on lui découvre un cancer du sein. Elle finit par racheter sa maison de Faucon et s’y installe jusqu’à sa mort en 1972. Ce n’est qu’en 2000 que reparaîtra Thérèse et Isabelle en version complète.

L'année dernière, j’ai eu l’occasion de me recueillir sur sa tombe. Honte, amnésie ? J’ai rencontré peu de gens du coin qui la connaissaient. Même Wikipédia, dans son article consacré à ce village, ne la mentionne pas sous la rubrique « Personnalités liées à cette commune ».

Certes, je suis à la fois juge et partie, mais je me demande avec inquiétude qui, dans quelques années, se souviendra de Violette Leduc ? Son œuvre est pourtant d’une richesse peu commune, et sa personnalité complexe, comme l’exprime René de Ceccatty :

Violette Leduc était une écorchée vive qui éprouvait le besoin d’extérioriser ses souffrances. Obsédée par sa laideur et pourtant désirée par les hommes et les femmes : "Une personnalité comme la sienne ne laissait pas intacts ses partenaires. Violette pouvait être dure, car elle se comportait aussi en petite fille capricieuse et en tyran".

Mais, aux yeux des bien-pensants d’aujourd’hui, ces écrits ont le défaut rédhibitoire d’être en majorité de l’autobiographie fictionnelle d’une lesbienne ne cachant ni ses sentiments ni ses besoins charnels.

En conclusion, je reviens sur le film de Martin Provost. Au bout du compte, je sais maintenant que mon manque d’enthousiasme vis-à-vis de celui-ci était principalement motivé par mon empathie vis-à-vis de Violette Leduc et que moi aussi je me refuserais à admettre l’échec de la relation amoureuse avec Simone. Cela démontre si besoin était, le talent de ce réalisateur qui a réussi à faire passer l’émotion de ce rejet. À ce sujet, cette attitude fera l’objet de mon prochain article consacré à Simone de Beauvoir.

La bande annonce de Violette de Martin Provost

 

Bibliographie :

  • René de Ceccatty ; « Violette Leduc, l’éloge de la bâtarde » ; Stock
  • Carlo Jansiti ; « Violette Leduc – biographie » ; Grasset