Le mois des fiertés, c’est aussi au cinéma
En ce mois de juin 2024, le septième art gâte la communauté LGBT avec notamment deux réalisations à découvrir sur les écrans des cinémas d’art et d’essai de France et de Navarre.
Le premier, Maria, présenté au Festival de Cannes 2024, est un film biographique français sur l’actrice Maria Schneider. Si le nom ne vous dit rien, elle est pourtant l’une des premières a avoir dénoncé les violences sexuelles dans le 7ème art. Le long-métrage de Jessica Palud revient ici sans vulgarité ni excès sur le tournage du film Le Dernier Tango à Paris.
Le second, Love Lies Bleeding est un thriller néo-noir romantique américano-britannique, féministe et lesbien, co-écrit et réalisé par Rose Glass, et présenté en avant-première au Festival de Sundance 2024. Un Thelma et Louise moderne, à la sauce Kill Bill, un mélange d’amour et de sordide, comme le suggère le titre de l’œuvre que mon téléphone traduit avec poésie par L’amour ment et saigne.
Synopsis Maria
Âgée de 19 ans, Maria Schneider est approchée, en 1969, par le cinéaste Bernardo Bertolucci. Ce dernier prépare alors le film Le Dernier Tango à Paris et lui propose le rôle de Jeanne. La jeune actrice, fille illégitime de Daniel Gélin, va alors côtoyer la star américaine Marlon Brando, bien plus âgé qu'elle. Le tournage est très dur et intense, notamment à cause d'une scène de viol. De plus, Maria va rapidement être confrontée à la gloire, à la célébrité et au scandale suscité par le film dès sa sortie en 1972.
Synopsis Love Lies Bleeding
Gérante d'une salle de sport, Lou fait la rencontre de Jackie. La jeune femme tombe rapidement amoureuse de cette culturiste bisexuelle qui projette de faire carrière à Las Vegas.
Pour aller un peu plus loin
Le film Maria n’est hélas que la dénonciation de faits que #MeToo ou le scandale Judith Godrèche ont récemment mis en lumière. Quand Maria osa dénoncer le double viol dont elle avait été victime de la part du réalisateur et de son co-acteur, on ne lui proposa plus que «des rôles de folle, de lesbienne, meurtrière…». Elle sombra ensuite dans l’héroïne et ne réussit à s’en sortir que portée par l’amour, d’une femme. Au milieu des années 70, Maria Schneider fait son coming-out bisexuel. Bien que discrète toute sa vie sur le sujet, en 2007, elle déclare lors d’une interview au sujet de ses dépendances et de l’entourage l’ayant soutenue : « Je ne dis pas si c'est un homme ou une femme. C'est mon jardin secret. »
En 2016, l’actrice Jessica Chastain fustige les spectateurs ayant apprécié Le Dernier Tango à Paris : «À tous ceux qui ont aimé le film, vous êtes en train de regarder une jeune fille de 19 ans en train d'être violée par un homme de 48 ans. Le réalisateur a planifié l'agression. Ça me rend malade».
Le film Maria porte un regard doux, subtil, sans exhibitionnisme, sur cette femme au destin brisé par une scène qu’elle n’avait pas imaginé vivre un seul instant en acceptant ce tournage. La réalisatrice y dépeint les conséquences dramatiques, mais aussi l’espoir, la lumière et le courage qu’il aura fallu à Maria pour réussir à ne pas sombrer suite à cette agression, à se reconstruire, à aimer et à refuser de tourner nue dans Caligula dont elle préfère se faire exclure du tournage en 1978 plutôt que d’accepter encore une fois de trahir ses valeurs.
Love lies bleeding, à l’inverse, est tout sauf douceur. La poésie n’est pas la même, l’image est dure, la façon de filmer chaotique. Preuve en est la première scène du film, qui débute tout de même sur des toilettes bouchées que Lou, l’héroïne, est en train de décrotter à la main. Le ton est donné. Les premières scènes évoquent l’atmosphère des années 50, il est presque surprenant qu’elles ne soient pas tournées en noir et blanc. Le décor est spartiate, l’intérieur irrespirable d’une salle de sport, avec les maximes les plus rétrogrades sur tous les murs. La réalisatrice nous fait presque sentir la sueur qui colle les cheveux des personnages, par ailleurs comme englués dans le fond de cette Amérique où le sexe et les armes sont les seules détentes. Le climat y est rude, tout comme la nature, aride, sauvage, engloutissant dans ses méandres les pauvres échappés d’une ville sans esprit.
Au milieu de cette ambiance de canicule de fin d’après-midi pesante, gluante, comme le sang qui sera presque un personnage à part entière, surnagent plutôt bien nos deux héroïnes. Une Amérique où il ne fait pas bon être femme, deux êtres qui tentent de ne dépendre d’aucun mâle, le parallèle avec Thelma et Louise est inévitable. Sauf que ce scénario-là, beaucoup plus âpre et pour tout dire, avec le parti pris d’une violence palpable, ne fait pas qu’insinuer une relation entre les héroïnes. Celles de 2024 se plaisent, se touchent, se font l’amour, un peu comme si elles essayaient de respirer un peu d’air pur dans ce cloaque.
Et puis, autre parallèle avec le grand référent, un acte violent, inacceptable, commis par un homme et sur fond de surdose d’anabolisants, voilà nos héroïnes plongées dans l’horreur.
Et une fois les deux pieds dans la vase, les mains dans le sang qu’il faudra nettoyer comme la merde lors de la scène d’ouverture, elles n’auront plus que la fuite en avant pour tenter de survivre, rendant coup pour coup à ce patriarcat qui veut les soumettre.
No pain no gain, cette maxime sur le mur taché de la salle de sport pourrait être le fil conducteur de ce film, à l’atmosphère lourde, à déconseiller aux âmes trop émotives mais qui remplit son rôle à merveille pour les amateurs de noir polar américain, avec en prime des références savoureuses à des films anciens.
Pour conclure, deux films aussi différents que possibles, mais d’une réalisation soignée et maîtrisée, avec un point commun notable.
L’homosexualité des héroïnes (shootées à leur homonyme ou proche parent) n’est pas le pivot de ces histoires, juste une composante de leur vie, et pour une fois en tous cas dans le polar noir, l’Amérique puritaine n’édulcore pas plus les scènes de sexe que celles de violence.
Deux très bons films aux registres très marqués qui semble acter, vu le regard sur la sexualité des personnages, que le droit à la différence est devenu un droit à l’indifférence.
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