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| Ellen Atem | Arts et Culture

Bible et homosexualité - Quand la religion bannit les lesbiennes et les gays

(Temps de lecture: 6 - 11 minutes)

Homosexualité et Bible - Quand la religion bannit les lesbiennes et les gays

Quand on pense à la Bible et à l’homosexualité, la toute première chose qui nous vient en tête est : interdiction. En effet, de multiples exemples de récits bibliques sont utilisés depuis des siècles pour justifier et interdire la pratique homosexuelle, considérée comme une abomination. Cette conception peccamineuse de l’homosexualité n’est pourtant pas si évidente que cela, et est surtout la cause d’un développement herméneutique homophobe. Une analyse plus attentive de ces textes montre au contraire la diversité de ces amours, parfois même célébrées[1], ou tout simplement l’absence de référence à un éventuel « péché d’homosexualité ».

Afin de mieux percevoir les enjeux derrière tout ceci, nous tenterons de savoir ce que l’on peut dire de l’homosexualité dans la Bible, c’est-à-dire ce que les textes sacrés nous révèlent de ces unions.

Notre travail consistera à aborder ces différents textes pour mieux les comprendre. En première partie, nous nous pencherons sur l’homosexualité dans l’Ancien Testament, principalement dans la Genèse et dans le Lévitique, avant d’étudier dans une seconde partie les figures homosexuelles que l’on peut trouver dans certains récits.  


Sommaire


I. L’homosexualité dans l’Ancien Testament

a)   L’interdiction biblique de l’homosexualité dans le récit de Sodome et Gomorrhe

Dans l’Ancien Testament, le passage le plus connu qui illustre cette condamnation de l’homosexualité est bien entendu celui de Sodome et Gomorrhe[2], deux villes que Dieu anéantira à cause de leurs péchés. Pour subir une telle punition, on peut se demander quelle était l’ampleur de ces péchés. Dans le récit, les explications ne sont pas claires.

Ils n'étaient pas encore couchés que les gens de la ville, les gens de Sodome, entourèrent la maison, depuis les enfants jusqu'aux vieillards ; toute la population était accourue. Ils appelèrent Lot, et lui dirent : où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous, pour que nous les connaissions. Lot sortit vers eux à l'entrée de la maison, et ferma la porte derrière lui. Et il dit : mes frères, je vous prie, ne faites pas le mal ! Voici, j'ai deux filles qui n'ont point connu d'homme ; je vous les amènerai dehors, et vous leur ferez ce qu'il vous plaira. Seulement, ne faites rien à ces hommes puisqu'ils sont venus à l'ombre de mon toit. Ils dirent : retire-toi ! Ils dirent encore : celui-ci est venu comme étranger, et il veut faire le juge ! Eh bien, nous te ferons pis qu'à eux. Et, pressant Lot avec violence, ils s'avancèrent pour briser la porte[3].

Si bien sûr le verbe « connaître » (yada’) peut avoir un sens sexuel dans la Bible, il l’est seulement dans les pratiques hétérosexuelles, d’autant plus que pour parler d’un rapport sexuel entre deux hommes, la Bible utilise le terme « coucher » (sakan)[4]. On peut penser plutôt ici que les hommes de la ville cherchent à connaître l’identité des deux étrangers dont ils ignorent tout de la nature angélique. Quelques points permettent de penser qu’il n’y a aucune référence à l’homosexualité dans ce passage ; tout d’abord, le fait qu’il est logiquement impossible que toute la ville, y compris les enfants et les gendres de Loth, soit homosexuelle. De plus, il est plus vraisemblable de penser qu’il s’agit ici du crime contre l’hospitalité, très importante pour l’Antiquité, car rien dans ce passage ne laisse supposer une transgression sexuelle.

b) Le verset controversé du Lévitique

Comme je l’ai évoqué dans la sous-partie précédente, il existe une autre manière de formuler l’acte sexuel, en utilisant le verbe sakan, que l’on retrouve dans le livre du Lévitique. Intéressons-nous un instant au verset 22 du chapitre 18 :

Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C'est une abomination.

La traduction utilisée ici donne le terme « homme » lorsque, en hébreu, le terme correspondant est « mâle ». En effet, l’homme se dit ish et le mâle se dit zakhar. Le premier point qui interpelle est donc l’usage du genre dans ce verset. Car pour parler de la femme, l’hébreu dit bien isha (femme), et non nekeva (femelle). Ainsi, si c’était réellement une relation de même sexe entre deux hommes qui était visée, l’hébreu aurait plus de facilité à dire : « tu ne coucheras point avec un autre homme », puisque même le pronom personnel « tu » en hébreu est genré[5]. Donc, ce n’est pas une pratique sexuelle entre deux hommes qui est désignée ici, mais plutôt entre deux partenaires dont on ignore le genre. Pour insister davantage sur le fait qu’on ne peut pas parler ici d’homosexualité, on peut se demander pourquoi il n’y a aucune référence au lesbianisme dans ce passage, ou même encore dans toute la Bible[6]. Avec la comparaison « comme on couche avec une femme », ce qui serait condamné ici serait plutôt l’acte passif dans la relation sexuelle. La position active elle, ne l’est pas. Le Lévitique veut ainsi souligner que la position sexuelle de l’homme est par nature active, dominante, a contrario d’une position passive, qui elle, est semblable à la femme[7]

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II. Les figures homosexuelles de la Bible

c) David et Jonathan

L’histoire de David et Jonathan est souvent reprise dans l’imaginaire populaire pour illustrer un amour homosexuel. Pourtant, avant de se poser la question pour savoir si oui ou non on peut qualifier le duo d’amants, il faut replacer certaines notions contextuelles. En effet, nous savons que Jonathan, mais surtout David, avaient tous les deux des relations avec des femmes. Dans l’Antiquité, les femmes n’étaient pas considérées comme ayant une capacité mentale permettant une amitié forte et une spiritualité égale à celle des hommes. C’est la raison pour laquelle il était impossible pour un homme d’entretenir une amitié intellectuelle avec sa femme, ou quelqu’un du sexe opposé[8]. C’est pourquoi les images bibliques de leur relation sont très expressives : « ton amour pour moi était admirable, au-dessus de l’amour des femmes. » (2 Samuel 1.26) C’est ce genre de versets qui ont semé le doute parmi les interprètes. Car cette amitié, qu'elle soit supérieure ou non à celle vécue avec une femme, a pu probablement être de nature sexuelle. Pourtant, il est anachronique de parler ici d’un couple homosexuel. Pour l’homme Juif, la normalité était de se marier et d’avoir des enfants, et ce même si une relation amoureuse ou sexuelle entre David et Jonathan peut être envisagée. Mais c’est justement cette absence de clarté dans le texte biblique sur la relation entre les deux hommes qui le rend intéressant, car il souligne la diversité des niveaux de lecture et de l’ambiguïté de la Bible[9].

d) Ruth et Naomi

Le cas de Ruth et Naomi est assez semblable au précédent, à la différence qu’il illustre un couple de femmes. Dans le récit, Naomi est la belle-mère de Ruth et d’Orpah. Ces dernières voient leurs époux mourir et Naomi leur demande de se remarier. Ruth refuse, en déclarant son amour pour sa belle-mère dans des vœux si beaux qu’ils sont d’ailleurs souvent utilisés lors de cérémonies de mariage[10]. N’est-ce pas un indice éloquent, quand un couple hétérosexuel utilise une déclaration d’amour d’une femme envers une femme pour décrire le leur ?

De plus, le mot hébreu pour exprimer les sentiments de Ruth pour Naomi, dabaq, est le même utilisé pour décrire ceux d’Adam envers Ève. Encore une fois, si le texte biblique ne mentionne pas la nature exacte de leur relation, il est tout à fait possible de l’envisager comme tenant à plus que de la simple amitié.

 

Conclusion

Ainsi, lorsque l’on se penche un peu mieux sur le sens originel des mots hébreux, il paraît difficile d’utiliser la Bible comme support d’interdiction de relations sexuelles homosexuelles. Le cas de Sodome et Gomorrhe, qui ne fait aucune référence à des actes homosexuels, montre bien que les interprètes et les théologiens ont utilisé ce passage à des fins purement moralisantes. Gomorrhe est, quant à elle, à peine évoquée. Le crime de ces villes résiderait en fait dans le manque d’hospitalité et l’agressivité envers des étrangers, des points cruciaux pour les peuples de l’Antiquité. Dans le Lévitique, la chose est plus complexe et mérite de s’attarder sur l’emploi des mots utilisés en hébreu, afin de comprendre que ce n’est pas non plus une homosexualité entre deux hommes qui est visée, mais plus un rapport entre un mâle, le dominant et l’actif, et l’homme soumis et passif, image de la femme. Ce qui gêne ici est le fait qu’un homme puisse être rabaissé dans l’acte sexuel à une femme, ce qui est humiliant pour l’époque. On peut ainsi constater que ni l’homme qui joue le rôle d’actif, ni les relations lesbiennes, ne sont condamnés.

En ce qui concerne les couples de même sexe les plus souvent cités dans la Bible, à savoir Jonathan et David, et Ruth et Naomi, même s’il est anachronique de parler pour eux « d’homosexualité », on ne peut que souligner l’ambiguïté présente, et la possibilité palpable pour ces couples d’avoir pu être plus que des amis.

Cette ambiguïté suppose aussi une diversité dans les interprétations. Pour la théologie queer, le sens est donné par le lecteur, et cela a toujours été le cas en herméneutique[11]. Ainsi, il est normal et même encourageant pour des chrétiens non hétérosexuels de pouvoir se retrouver dans les textes bibliques, sans peur du jugement d’autrui ou de la condamnation divine.

 

Références bibliographiques

Araya Patricio, L’utilisation de la Bible dans la théologie gay et la théologie queer, colloque doctorants, 2019.

Cornwall Susannah, Theology and Sexuality, SCM Press, 2013.

Jennings Theodore Jr., Same-Sex Relations in the Biblical World, dans The Oxford handbook of theology, sexuality, and gender, Oxford University Press, 2015.

Römer Thomas, Bonjour Loyse, L'homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible, dans Essais Bibliques, n°37, Labor et Fides, 2005.

Stiebert Johana, Walsh Jerome, Does the Hebrew Bible have anything to say about homosexuality?, dans Old Testament Essays vol. 14, n° 1, 2001, p. 119-152.


[1] T. Jr. JENNINGS, Same-Sex Relations in the Biblical World, dans The Oxford handbook of theology, sexuality, and gender, Oxford University Press, 2015, p. 206.

[2] Genèse 19.1-29.

[3] Genèse 19.4-9, traduction Second 1910.

[4] Dans Lévitique 18.22 : « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C'est une abomination », ou encore dans Lévitique 20.13 : « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable ; ils seront punis de mort : leur sang retombera sur eux. »

[5] J. Stiebert, J. Walsh, Does the Hebrew Bible have anything to say about homosexuality?, dans Old Testament Essays vol. 14, n° 1, 2001, p. 138.

[6] Ibid., p. 138.

[7] Ibid., p. 138.

[8] S. Cornwall, “Same-Sex Relationships and Christian Theology”, dans Theology and Sexuality, SCM Press, 2013.

[9] Ibid.

[10] «Ruth répondit : Ne me presse pas de te laisser, de retourner loin de toi! Où tu iras j’irai, où tu demeureras je demeurerai; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu; où tu mourras je mourrai, et j’y serai enterrée. Que l’Éternel me traite dans toute sa rigueur, si autre chose que la mort vient à me séparer de toi!» Ruth 1.16-17.

[11] P. Araya, L’utilisation de la Bible dans la théologie gay et la théologie queer, colloque doctorants, 2019, p. 8-10.