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| Audrey | Histoire lesbienne et féministe

Les Jeux gais de Vancouver - "CÉLÉBRATION 90" (Lesbia Mag 1990)

(Temps de lecture: 4 - 7 minutes)

Les Jeux gais de Vancouver - "CÉLÉBRATION 90" (Lesbia Mag 1990)

Par Dominique Rétif 

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Lesbia Mag numéro 87 - 1990

Les Jeux gais de Vancouver ont été un succès, les chiffres sont là pour le prouver. 7500 athlètes lesbiennes et gais ont concouru pour le plaisir d'être ensemble et montrer leur fierté d'être gais et lesbiennes, Parmi eux, une centaine de Françaises et Français. Trois équipes féminines de volley-ball, deux pour Paris et une pour Aix-en-Provence... 17000 personnes ont assisté à la cérémonie d'ouverture le 4 août. La chorale Equivox, chorale de gais et lesbiennes de Paris, y était, elle aussi, et Dominique Rétif qui en est membre nous présente ses Jeux 90.

Août 90. L'extravagance et l'énorme à l'américaine, en territoire canadien. les énormes parades d 'ouverture, puis de clôture des jeux rassemblant sept mille puis dix mille athlètes homosexuels, dont un tiers de femmes, le pourcentage o bien progressé depuis les derniers jeux de San Francisco. Tous défilent dans l'immense stade couvert, certains dans des fauteuils roulants. Les tenues sont époustouflantes. Certaine délégations agitent

des mascottes, des gadgets multicolores qu'ils expédient vers les tribunes. Nous cherchons à récupérer de grands colliers de perles et, plus classique, des volants, des balles de tennis, des badges. (Qu'est-ce que je vais faire de tout ça dans l'avion, moi?) Dix-huit fanfares homosexuelles ouvrent le chemin, uniformes chamarrés pour beaucoup, étendards pour tous, tout ça au petit pas cadencé.

Des majorettes et « majorets (?) font tournoyer leur canne avec le plus grand sérieux, vous êtes sûrs que c'est du deuxième degré ? Plus « queen » que nature, une reine d'Angleterre s'installe dons la loge officielle, après avoir discrètement salué son peuple. Tout nous amuse et nous semble terriblement exotique, mais l'est sans doute moins pour le monde américain.

En tout cas, l'ambiance est torride, on n'arrête pas d'applaudir les délégations, ça n'en finit pas. les communautés californiennes ont envoyé des centaines de personnes, San Francisco en tête bien sûr, à croire qu'elles et ils sont tous là. On sort de là avec l'impression que le monde homosexuel est une réalité énorme, heureuse, éclatante de vie. Ça reste vrai quand on sort du stade. Vingt mille homosexuels et, je le rappelle, beaucoup de femmes dans le nombre, ont investi la ville. Chacun porte en sautoir sa carte d'identité spécial-jeux, avec sa photo (hilare en général tirée par le Comité d'accueil sans compter a «carte orange » locale gratuite, cadeau de la ville de Vancouver à tous les participants (« vous les reconnaîtrez au cordon qu'ils portent au cou » .

En plus, tout le monde arbore les tee-shirts de rigueur avec des proclamations qui vont du meilleur goût politique "Nobody knows l'm gay", "personne ne sait que je suis homo", ou encore "les placards sont faits pour les vêtements" à la proposition dépourvue de complications sentimentales "Just do me" ou "How big is it?" et là, je ne traduis pas, ça ne nous concerne pas vraiment de toute façon.)

Bref, pendant cette semaine, ce n'est pas la peine d'échanger des regards interrogatifs ou entendus avec ses copines, on ne peut pas s'y tromper: elles et ils le sont tous et c'est bien agréable. Sourires, clins d'oeil, une main tendue en passant, «d'où tu viens»?». On se sent en sécurité, partout où on va. Sans elles, sans eux, les jeux terminés, la ville nous semblera déserte. 


Cette invasion paisible n'a pas rencontré trop d'obstacles. Un seul incident grave : un garçon a pris un coup de bombe dans les yeux. Sinon quelques graffitis homophobes sur les murs du stade, pas de quoi fouetter un chat, mais les Canadiens n'en feront pas cas. Le raz-de-marée fondamentaliste (c est-à-dire intégriste) n'a pas eu lieu. Un camion arborant des panneaux du style : «Gare au Jugement Dernier, Dieu vous voit, etc. » descend et remonte lentement l'avenue qui mène au stade. Un homme, une femme, isolés, haranguent avec ténacité la foule goguenarde et, plus particulièrement, les "Sisters of minister wisdom" groupe de garçons travestis en bonnes sœurs délirantes ou en évêque. Ils viennent de San Francisco et collectent efficacement de l'argent pour les malades du sida. 


Bien sûr, ces jeux sont aussi une manière de défier la maladie, d'affirmer que la vie continue dans la communauté homosexuelle, de mobiliser les esprits pour la lutte et le soutien aux maIades, de lutter contre le sida, pas contre ceux qui ont le sida. C'est de I'intérieur du grand chœur qui a chanté I'ouverture et la clôture des jeux que je l'ai aperçu ; dès le deuxième jour, Carol White, notre de chœur américaine, invite tout simplement les personnes "Who are living with Aids" à se lever. Trois garçons sont debout tout de suite, sous notre regard un peu épouvanté. Nous ne sommes pas sûrs d'avoir bien compris ce qui se passe, mais si, c'est bien ça, trois cents choristes les applaudissent, ils pleurent, nous aussi, jamais en France...

Nous reprenons les partitions, living With Aids est le tiffe d'un des morceaux que nous préparons, le travail continue. A la sortie de la cathédrale où nous répétons, des gens vont les embrasser, nous ne pouvons pas, cela ressemble trop à des condoléances anticipées. Et pourtant, cette manière violente de libérer les émotions, l'angoisse, doit aider les malades et nous-mêmes à mieux vivre, c'est probable. 


Autre moment d'émotion : les membres de l'association "Parents de gais et de lesbiennes" se lèvent à leu tour ; ils chantent dons nos rangs. On les applaudit à tout rompre. Et chacun de penser : "Ah si ma maman, mon papa..."  Au nom de tous, un évêque protestant à la retraite nous raconte sa progressive acceptation de l'homosexualité de son fils. Quelques parents présents ont perdu le leur, toujours le sida. Ils se battent à présent pour collecter des fonds et défendre la dignité de leurs enfants.

Au grand concert public que nous donnons le vendredi, les mêmes scènes se reproduisent : le public debout, ovationne longuement ces parents qui représentent pour nous tous l'image idéale, ceux à qui on n'a pas besoin de crier : « Papa, maman, ta fille est une lesbienne. » Et, comme nous, le public pleure sur les morts et les malades en sursis: trois garçons, inscrits au grand chœur, ne sont pas venus trop malades. Un autre est mort, trois semaines avant I 'ouverture des jeux. Personne ne peut les oublier. Puis nous couvrons d'applaudissements tous les organisateurs des jeux et du grand chœur, techniciens, trésoriers, maître des cérémonies, vigiles, aucun bénévole ne sera oublié. Après tout, c'est leur seule récompense. Horreur, nous scandons même le nom de notre chef de chœur : « Carol ! Carol ! » Jamais en France... le lendemain, ayant remisé son smoking blanc et ses nœuds pap aux couleurs des jeux, elle nous avoue que cette semaine a été « une des plus belles de sa vie ». Eh ben, pour nous aussi, allez... Fin de répétition rituelle : on prend ses voisines par les épaules et on oscille en vagues en chantant : « We are gentle and loving people, and we are singing, singing for our lives... we are gay and lesbian people, we are straight (hétéros) together... » (toujours à cause des parents l) Tout ça dans le plus pur style Joan Baez. Il n'y a plus qu'à fermer les yeux à se laisser bercer. Nous nous laissons aller comme tout le monde au flot émotionnel, qui demande pour notre communauté sa juste place au soleil. Puis viennent les dernières bises. Rendez-vous dans quatre ans, à New York. Ça a failli être Sydney, dommage. 

Quant à Amsterdam, Paris ou Berlin, il faudra encore attendre et travailler l'organisation. La future direction new-yorkaise monte sur la scène pour prendre le relais, au travail ! See you soon, in New York, 1994. 

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