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| Anaïs Dujardin | Arts et Culture

Colette : Les vrilles de la vigne, nouvelles lesbiennes

(Temps de lecture: 3 - 6 minutes)
Colette : Les vrilles de la vigne, nouvelles lesbiennes
Source image : amisdecolette.fr

Pour ma première chronique « littérature » j’avais sciemment choisi de commencer par un auteur dont le moins que l’on puisse dire est qu’une nouvelle lesbienne détonne dans le corpus de son œuvre, Honoré de Balzac et sa « Fille aux yeux d’or ».

Introduction

Passée cette entrée en matière en forme d’ouverture « allegro con brio », je vous propose de revenir à des fondamentaux. Dès lors, comment ne pas rendre sa place à Sidonie-Gabrielle Colette, connue sous son seul patronyme de Colette ?

Mais, ici aussi, je ne prendrai pas les choses dans l’ordre. En toute logique j’aurais dû parler de la fameuse tétralogie des « Claudine » qui marque le début de la carrière d’écrivaine de Colette. Non, la récente actualité dicte de vous parler d’une œuvre postérieure.

En effet, l’Éducation Nationale française, cette année, a fait montre d’une certaine témérité en proposant parmi les œuvres présentées pour l’oral de l’épreuve anticipée de français pour le bac 2023, « Les vrilles de la vigne » de cette auteure. Certes, le thème de l’EAF de cette année était les rapports de l’homme avec la nature, et c’est à ce titre que l’œuvre a été étudiée. Cependant, certains textes de ce recueil de nouvelles évoquent principalement le lesbianisme.

Inutile de dire que les instructions ont précisé aux professeurs de les écarter, ceux-ci étant hors du thème imposé. Téméraire, mais pas suicidaire !

« Les vrilles de la vigne » et son contexte

Ce recueil de 20 nouvelles d’origine autobiographique paraît en 1908.

Colette y exprime son goût pour la nature et sa nostalgie du temps de son enfance.

Lorsqu’elle le rédige, elle vit en couple avec la « scandaleuse » Mathilde de Morny, alias « Missy », alias « oncle Max », alias « Monsieur le marquis ». Celle-ci, née en 1863 est devenue de par son mariage marquise de Belbeuf dont elle conservera le titre après son divorce en 1903. Ouvertement lesbienne, maîtresse reconnue de la fameuse demi-mondaine Liane de Pougy, on peut même la considérer comme la première « transgenre » à avoir été « médiatisée », puisqu’elle ira jusqu’à subir volontairement une double mastectomie et une hystérectomie. Elle ne s’habillait qu’en homme, et très étrangement, c’est cela qui lui a valu les foudres des autorités de police, plus que son orientation sexuelle qui à l’époque était relativement bien acceptée.

Elle rencontre Colette alors qu’elles jouent toutes deux dans une pantomime intitulée « Rêves d’Égypte » qui fait scandale car Colette y joue à moitié nue et se fait embrasser goulûment par Missy qui joue un explorateur. Le préfet Lépine finira par interdire le spectacle.

Leurs amours font l’objet de deux nouvelles du recueil.

Chanson de la danseuse

Nouvelle très courte, pleine de sous-entendus, aucunement explicite, mais d’une sensualité profonde. Une simple évocation d’un moment intime, très intime.

« Dans ta maison, seule entre toi et la flamme haute d’une lampe tu m’as dit : ‘Danse !’ et je n’ai pas dansé.

Mais nue dans tes bras, liée à ton lit par le ruban de feu de plaisir, tu m’as pourtant nommée danseuse, à voir bondir sur ma peau, de ma gorge renversée à mes pieds recourbés, la volupté inévitable…

Lasse, j’ai renoué mes cheveux, et tu les regardais, dociles, s’enrouler à mon front comme un serpent que charme la flûte…

J’ai quitté ta maison durant que tu murmurais : ‘ La plus belle de tes danses, ce n’est pas quand tu accours, haletante, pleine d’un désir irrité et tourmentant déjà, sur le chemin, l’agrafe de ta robe… C’est quand tu t’éloignes de moi, calmée et des genoux fléchissants, et qu’en t’éloignant, tu me regardes, le menton sur l’épaule… Ton corps se souvient de moi, oscille et hésite, tes hanches me regrettent et tes reins me remercient… Tu me regardes, la tête tournée, pendant que tes pieds divinateurs tâtent et choisissent leur route ‘ »

Nuit blanche

Colette ne peut dormir. Elle regarde son amante et pendant quelques pages nous livre ses pensées plus ou moins chastes. Comme dans le texte précédent, la sensualité est exacerbée :

« Alors tu feindras de t’éveiller ! Alors je pourrais me réfugier en toi, avec de confuses plaintes injustes, des soupirs excédés, des crispations qui maudiront le jour déjà venu, la nuit si prompte à finir, le bruit de la rue… Car je sais bien qu’alors tu resserras ton étreinte, et que, si le bercement de tes bras ne suffit pas à me calmer, ton baiser se fera plus tenace, tes mains plus amoureuses, et que tu m’accorderas la volupté comme un secours, comme l’exorcisme souverain qui chasse de moi les démons de la fièvre, de la colère, de l’inquiétude… Tu me donneras la volupté, penchée sur moi, les yeux pleins d’une anxiété maternelle, toi qui cherches, à travers ton amie passionnée, l’enfant que tu n’as pas eu »

Colette et Mathilde se sépareront en 1911. Colette tombera éperdument amoureuse de Henry de Jouvenel qu’elle épousera en 1912 et avec qui elle aura sa seule enfant, Anne de Jouvenel. En 1920, presque cinquantenaire, Colette le trompera avec son propre fils, Bertrand de Jouvenel alors âgé de 17 ans. Elle en tirera son roman Le blé en herbe.

Missy, seule et complètement ruinée se suicidera en juin 1944.

Il faudra encore attendre deux années (le 3 août 2024) pour que l’œuvre de Colette appartienne au domaine public. Cependant pour quelques euros ou dollars, il est toujours possible de se procurer le texte en version numérique.

Je reviendrai bientôt sur Colette de manière plus complète à l’occasion de la présentation des « Claudine », mais si vous êtes trop impatientes, voici le site à visiter en priorité : https://www.amisdecolette.fr/

N’hésitez pas à adhérer à l’association de promotion de la mémoire de celle que la psychanalyste Julia Kristeva a appelée « la reine de la bisexualité ».

Bonnes lectures !