Quand Balzac écrivait une nouvelle lesbienne…
Non, chères lectrices, vous n’avez pas la berlue.
Loin de moi également l’idée de me lancer dans un quelconque « teasing » pour marquer mes débuts de chroniqueuse sur livres-lesbiens.com. Non, c’est la plus exacte vérité. Le célèbre écrivain Honoré de Balzac a bien écrit une nouvelle, ou un roman court, mettant en scène des lesbiennes.
Il s’agit de La fille aux yeux d’or écrit et paru en 1835.
Cet ouvrage fait partie de la « Comédie Humaine », « Scènes de la vie parisienne », dans la série « L’histoire des Treize ». Informations que je vous communique, mais qui n’ont aucune importance…
L'histoire
Cette année-là, le dandy Henri de Marsay, séducteur invétéré de vingt-deux ans, se promène dans le jardin des Tuileries. Il est à la recherche d’une jeune fille extraordinairement belle dont lui a parlé un de ses amis. Effectivement, il la croise alors qu’elle circule en fiacre. Non seulement cette femme est magnifique, mais elle possède une paire d’yeux d’une couleur dorée peu commune. Mais, laissons parler Balzac lui-même : « deux yeux jaunes comme ceux des tigres ; un jaune d’or qui brille, de l’or vivant, de l’or qui pense, de l’or qui aime et veut absolument venir dans votre gousset ! » Contre toute attente, la mystérieuse jeune femme fait signe à Henri de la suivre, malgré la duègne qui l’accompagne. Il découvre ainsi où elle réside. Un manoir qui appartiendrait à un certain marquis de San-Réal qu’Henri soupçonne être son amant.
Bien entendu, on lui refuse l’accès à cette résidence.
Par un habile subterfuge, il réussit cependant à connaître le nom de la mystérieuse jeune femme : Paquita Valdès, et à lui envoyer une lettre. Quelques jours plus tard un serviteur métis se présente chez Henri et l’amène dans une maison abandonnée où l’attend Paquita. Celle-ci lui indique qu’ils ont douze jours pour vivre leur aventure, mais qu’elle ne sait pas ce qui se passera après, car elle n’est pas libre. Fou de désir, le jeune dandy lui annonce que si elle n’est pas à lui seul, il la tuera. La jeune femme aux yeux d’or accepte un rendez-vous au même endroit pour le lendemain.
Elle le reçoit vêtue d’un simple peignoir, et à la grande surprise d’Henri, entreprend d’habiller son futur amant… en femme. Ils font l’amour, et Henri, stupéfait, note « que si elle était encore vierge, elle n’était certes pas innocente ». Troublé, il décide de ne plus voir Paquita et de l’oublier. Il comprend peu après que leurs ébats avaient été observés par une tierce personne. Malgré son souhait d’arrêter les choses, un soir, il accepte de suivre le serviteur à nouveau. Il trouve son amante en pleine crise nerveuse qui le supplie de l’emmener avec lui en Asie. Ce qu’Henri ne peut se résoudre à faire, faute d’argent. Ils font de nouveau l’amour, et au moment de l’orgasme, Paquita crie « Oh ! Mariquita ! » Le jeune homme réalise alors que l’observateur de leur union est une femme. Il sort de la maison en rage, en décidant de se venger. Il met son projet à exécution deux jours plus tard, mais c’est pour trouver Paquita mourante, poignardée par celle qui est sa véritable maîtresse, la marquise de San-Réal.
Vous comprendrez, chères lectrices, que je préfère m’arrêter ici. Je vous laisse le plaisir d’en découvrir la fin, avec ses rebondissements romantiques à souhait.
Les exégètes actuels de Balzac, en particulier, Michael Lacey, dénotent que Balzac fait preuve d’audace en évoquant la passion entre deux femmes.
De l’audace ?
C’est le moins que l’on puisse dire ! Rappelons que ce roman a été publié en 1835, c’est-à-dire en pleine période « Louis-Philipparde », caractérisée par la toute-puissance de la bourgeoisie psychorigide, et l’emprise plutôt glauque de l’Église catholique. Certes, l’érotisme de cette nouvelle, et cela est déconcertant, apparaît plutôt en filigrane, voilé par des sous-entendus, des litotes et autres euphémismes. J’ai utilisé un peu plus haut et à dessein, le mot « orgasme » ; il n’apparaît évidemment pas dans le texte à une époque où il aurait fallu prendre un bain de bouche après l’avoir prononcé ; dans l’ouvrage il est remplacé par « joie ».
Il n’empêche que Balzac a fait preuve de beaucoup de témérité pour écrire une nouvelle où une des personnages principaux est lesbienne, une partie de l’intrigue reposant sur l’amour saphique et présentant des pratiques comme le travestissement ou le voyeurisme.
En faisant cela il reste dans la droite ligne du projet qu’il s’est fixé dans la « Comédie Humaine », d’explorer les rouages et les caractéristiques de l’esprit humain. Même si cela est discret pour les raisons précédemment exposées, l’homosexualité est un thème que Balzac évoque. À partir du « Père Goriot », les relations d’affection entre Vautrin, l’ancien bagnard, et Eugène de Rastignac, le jeune homme très ambitieux ou plus tard, Lucien de Rubempré, sont très ambiguës. Il en est de même pour Lisbeth Fisher, alias « la cousine Bette » à laquelle l’auteur prête une attirance saphique pour sa voisine et amie, Valérie Marneffe.
Tout cela étant dit, malgré la pause estivale, je vous déconseille d’emporter La fille aux yeux d’or sur la plage. Réservez plutôt votre lecture pour les longues soirées du monotone automne. Pour être tout à fait franche, une des critiques les plus courantes à l’encontre de cette nouvelle, est qu’elle peut sembler difficile à comprendre.
Il n’en reste pas moins que dans l’histoire de la littérature française, il s’agit là du premier ouvrage consacré entièrement au lesbianisme, et ce, sans jugement moral aucun.
Le texte est une oeuvre du domaine public, vous pouvez le trouver en téléchargement gratuit ici.
Pour le format poche, compter 6 à 7 € en France et 8 $ au Québec.
Bonnes lectures à toutes !
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Anaïs Dujardin
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