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| Alexia Damyl | Billets d'humeur

Pourquoi « il ne manque pas un père à nos enfants » ou comment déconstruire un paradigme homophobe

(Temps de lecture: 3 - 5 minutes)

Pourquoi « il ne manque pas un père à nos enfants » ou comment déconstruire un paradigme homophobe

Juste une question de bon sens me direz-vous ?

Évidemment, on danse encore sur les accords qu’on aimait tant. Non, évidemment, l’Histoire et la géographie nous ont prouvé que le modèle un papa, une maman dont la Manif pour Tous a tant fait l’apologie n’est pas la condition sinequanone, l’unique option qui permet à un enfant de grandir de manière équilibrée et de devenir un adulte se comportant de manière logique et sensée.

Ouf ! Tous les gamins nés entre 39 et 45, dont le père appelé sous les drapeaux avant leur naissance et jamais rentré au bercail ne sont pas devenus de dangereux psychopathes, ni des dépressifs suicidaires. Les études n’ont pas montré qu’ils étaient plus ou moins polis, sympathiques, agressifs, intelligents ni homosexuels que le reste de la population. Nous voilà rassurés.

Non, au Nigéria, les enfants Igbos ou Yorubas ne sont pas plus malheureux que les autres, et pourtant ce ne sont pas uniquement les parents qui élèvent leurs enfants dans ces communautés, mais des villages entiers. Dans ces cultures africaines, les enfants sont en effet perçus comme un don et c’est toute la communauté qui se réjouit d’une nouvelle naissance et contribue à l’éducation du nouveau-né. Cette philosophie présente plusieurs avantages : la pluralité des modèles rencontrés par l’enfant contribue à le sécuriser tout en lui permettant une grande ouverture d’esprit (ce qui d’un point de vue neurobiologique stimule ce que le monde occidental pourrait nommer son « intelligence »), la pression exercée sur les parents est amoindrie ce qui les rend plus disponibles pour partager des moments de qualité avec leur progéniture, et puis, de la sorte, le bambin apprend très tôt que même si seul on peut aller plus vite, ensemble on va plus loin (j’entends par là des valeurs de solidarité, de respect, de confiance…).

On pourrait continuer à déplacer le curseur dans le temps et l’espace et se rendre compte que les exemples se multiplient et s’avèrent rassurants.

Et la psychologie dans tout ça ?

Aux bien-pensants qui ont pu me taxer d’égoïsme ou de tous les maux de la Terre à l’idée que je devienne mère, je n’ai eu d’autre réponse qu’un peu de psychologie de comptoir frappée au coin du bon-sens. Sans accabler les modèles monoparentaux, puisque mes bébés allaient bénéficier d’au moins deux figures parentales, les « rôles » freudiens de père et de mère n’allaient-ils pas être remplis ? Le modèle judéo-chrétien d’un parent plus enclin à faire des câlins en même temps que des pâtisseries (et pourquoi pas en passant l’aspirateur, [j’ai mal à mon féminisme]) et d’un autre qui imposerait les limites tout en s’épilant un poil au menton serait effectif et mes enfants pourraient grandir sans payer le lourd tribut de notre sexualité déviante. Et puis, à ceux qui font l’amalgame entre lesbienne et mysandre, je reconnais avoir été élevée par un papa aimant, devenu aujourd’hui un grand-père présent dans le quotidien de mes enfants, je fréquente le monde réel, peuplé d’hommes, de femmes et de tous ceux qui ne s’identifient ni en l’un ni en l’autre. J’ai un frère, des oncles, des amis garçons hétérosexuels, gays ou autres… Que l’on se rassure, devenir maman en étant lesbienne n’est pas une sorte d’entrée au sein d’une secte où toute masculinité serait proscrite.

Plus sérieusement, la fluidité entre genres et différences de sexes, la reconnaissance en droit de l’égalité entre conjoints et parents ainsi que l’évolution des modèles familiaux et conjugaux ont mis un sacré coup de pied dans la fourmillière psychanalytique. Le père oedipien de Sigmund Freud n’est pas totalement dépassé. On peut reconnaître au tiers le rôle qui est de s’interposer entre la mère et son enfant et par là même le fait de permettre à ce dernier de développer son identité propre. Le processus d’individuation est en marche et notamment grâce à cet autre qui met fin à une pseudo symbiose qu’une mère et son enfant établissent au stade fœtal. Cet autre n'a, à l’évidence, pas besoin d’un pénis pour cela…

Et Lacan ? rétorqueraient les plus aigrefins d’entre nous. Si la responsabilité de la mère est de faire valoir la loi du père et si cela passe par le « logos », autrement dit, le langage. Alors pourquoi la loi de Jacqueline, Justine ou Marie-Antoinette ne vaudrait pas aux yeux d’un cerveau tout neuf, non modelé par une conception dépassée de ce que devrait être une famille ? Faut-il s’appeler Jules ou Gontrand pour que nos idées aient du poids et éveillent un bambin au monde ? Dieu merci non (et je vais laisser ce brave en dehors de tout ça, car le débat pourrait alors se poursuivre sur plusieurs pages) !

Je terminerai par le titre d’un film de 2010 dont j’écrirai peut-être un jour la critique « Tout va bien, the kids are alright ».