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| Anaïs Dujardin | Arts et Culture

De l’art difficile de la publicité lesbienne

(Temps de lecture: 2 - 4 minutes)

De l’art difficile de la publicité lesbienne

Il y a un peu plus de deux ans j’avais écrit ici même un article traitant de la place des lesbiennes dans la publicité audiovisuelle.

J’évoquai entre autres, Pandora, Center Park. À chaque fois, il s’agissait plus d’une suggestion, quasi subliminale, qu’une mise en scène de lesbiennes identifiées comme telles.

En ce moment, les choses changent, puisque les écrans publicitaires français proposent quasiment quotidiennement un spot du distributeur de lunettes Krys.

Or, celui-ci a été décliné en plusieurs versions. Normal, car les publicitaires ont comme tâche l’analyse du retour de la diffusion.

Dans la première version, on voyait deux alpinistes à la conquête d’un mur de glace. Crampons et piolets obligatoires. Un des deux grimpeurs dévisse, mais le premier réussit à l’assujettir. L’alpiniste de tête parvient enfin au sommet. Le spectateur découvre alors qu’il s’agit d’une jeune femme. Miracle des annonceurs dans ce genre de « mini-film », elle sort alors d’on ne sait où, une paire de lunettes qu’elle s’empresse de passer. Dans le plan suivant on découvre mieux la jeune femme, une belle blonde souriante toujours chaussée de ses lunettes. Elle est accompagnée d’une autre jeune femme tout aussi radieuse. On la voit appuyer sur une sonnette. Un couple de personnes âgées à la mine plutôt revêche ouvre. Plan final où les deux amies se serrent par la main. Message clair. Arrive le slogan de la marque : « La confiance vous va si bien ».

Cette pub est restée plusieurs semaines dans cette mise en scène.

Et puis, récemment une nouvelle version qui démontre bien le soin de l’agence publicitaire ODW de l’impact de leur production. Premièrement, la seconde alpiniste ne dévisse pas. Ensuite, lorsque les personnes âgées ont ouvert la porte (on se doute qu’il s’agit des parents de la jeune femme blonde), cette dernière prononce un mot avant d’étreindre la main de sa compagne. Retour sur les parents qui affichent un sourire éclatant.

Dans la production publicitaire, chaque élément, même le plus ténu, compte. Une parfaite illustration du vieil adage « le diable se niche dans les détails ». Il est vrai que le fait qu’une des deux compagnes « dévisse » pouvait faire croire qu’elle n’était pas assez forte. À l’inverse, c’est une jolie métaphore que de comparer le chemin de deux jeunes lesbiennes à l’escalade improbable d’un mur de glace. Dans la seconde scène, il est maintenant clair avec les paroles de la blonde, qu’elle annonce à ses parents l’existence de sa compagne. Elle marque l’événement en se saisissant de sa main. Une nouveauté également : les deux parents ont quitté une attitude qui aurait pu passer pour du rejet, à la manifestation patente de leur joie. Le titre de la pub a été modifié puisqu’il s’intitule désormais Rencontre au sommet, mais le slogan de la confiance reste et trouve toute sa force.

Cette fois avec cette publicité Krys, il est évident que l’on quitte la suggestion pour présenter une scène de la réalité. Les autres publicités de ce distributeur vont d’ailleurs dans le même sens. Le cadre timoré qui retrouve tout son charisme en mettant ses lunettes. Il y a également l’écolière qui n’a plus peur d’affronter sa nouvelle classe.

Mettre en avant la dure réalité d’un coming out est à cet égard une riche idée.

 

Il y a cependant un revers à la médaille. Ce qui me gêne c’est qu’on puisse instrumentaliser de cette manière le lesbianisme. Je doute fortement que l’impact d’une telle publicité puisse être le même avec un couple gay ou un couple d’ethnies différentes. Tant mieux pour l’homosexualité féminine, mais à travers téléfilms, séries ou films elle devient un thème récurrent. Je suis perplexe que cette mise en scène de deux lesbiennes ait pour seule « cible » les lesbiennes qui, d’après les statistiques, représenteraient 10 % de la population. Je crois plutôt que cela attire plus l’intérêt de la gent masculine.

 

Toujours est-il que le paysage audiovisuel n’a plus peur de mettre en scène le lesbianisme. Cela reste quand même un point très positif dans la perception « grand public » de ce choix de vie.