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| Amélie N. | Arts et Culture

"Chloé" : une histoire lesbienne où le désir devient un instrument de pouvoir

(Temps de lecture: 3 - 5 minutes)

"Chloé" : une histoire lesbienne où le désir devient un instrument de pouvoir

Dans Chloe, Atom Egoyan explore une zone trouble où la sexualité lesbienne ne se vit jamais de manière frontale, mais toujours à travers le prisme du contrôle, de la projection et de l'imaginaire. Plus qu'un thriller érotique, le film s'attache à ce que le désir révèle lorsqu'il circule entre les corps sans jamais s'y fixer complètement. Ce qui fascine Egoyan n'est pas tant l'acte que l'intention, ni la chair que ce qui s'y joue en silence. Chloe s'inscrit ainsi dans la continuité de ses œuvres les plus ambiguës, où l'attraction sexuelle devient un langage codé, chargé de non-dits et de manipulations.

Sommaire

Une rencontre née du soupçon

Depuis la fenêtre de son bureau, Catherine Stewart observe une jeune femme dont l'allure et les habitudes évoquent celles d'une escort de luxe. Elle grave cette image dans sa mémoire. Lorsque son mari lui annonce avoir manqué son vol de retour pour Toronto, puis qu'elle découvre une photographie troublante sur son iPhone, le doute s'installe. Catherine se rend alors à l'hôtel où elle a aperçu la jeune femme, croise son regard dans un bar, provoque une conversation dans les toilettes. Avec un calme parfait, la jeune femme lui explique que les femmes seules ne sont généralement pas ses clientes. Les couples, en revanche, parfois.

Le désir lesbien comme terrain psychologique

Atom Egoyan trouve son intrigue dans les marges de la sexualité conventionnelle. Chloe, à l'image de son film majeur Exotica (1994), s'intéresse à une attraction sexuelle brouillée par des arrangements financiers. Le film repose sur une érotisation essentiellement mentale. Il ne s'agit pas tant de ce que les personnages font que de ce qu'ils imaginent, projettent ou interprètent. Le désir circule par la parole, par le récit, par la suggestion, bien plus que par l'action elle-même.

Catherine, David et Chloe : un triangle asymétrique

Catherine Stewart, interprétée par Julianne Moore, est gynécologue, visiblement prospère si l'on en juge par la maison élégante qu'elle habite, digne des pages d'Architectural Digest. Son mari, David, joué par Liam Neeson, est spécialiste d'opéra. La jeune femme aperçue depuis la fenêtre est Chloe, incarnée par Amanda Seyfried, jeune, intelligente, sensuelle, au rouge à lèvres affirmé.

Catherine explique à Chloe qu'elle soupçonne son mari d'adultère et souhaite tester sa fidélité. Elle lui indique l'endroit où David déjeune chaque jour. Chloe accepte la mission.

Orgasme lesbien, contrôle et narration du désir

Au début du film, Catherine explique à une patiente inquiète que l'orgasme n'est qu'une simple contraction musculaire, naturelle, sans mystère. Pourtant, pour Catherine, le plaisir est loin d'être mécanique. Il dépend profondément de la personne avec qui il est partagé et des raisons qui l'animent.

Chloe raconte à Catherine comment elle a abordé David dans un café, lui demandant simplement de prendre le sucre sur sa table. David comprend immédiatement que Chloe ne s'intéresse pas au sucre. Lorsqu'elle relate cette rencontre, Chloe démontre une maîtrise parfaite de son art. Elle affirme très tôt qu'elle ne se contente pas de louer son corps. Elle utilise son intelligence pour deviner ce que ses clients désirent réellement, parfois malgré eux, et sait comment nourrir ce désir jusqu'à l'obsession.

Une femme en apparence jeune, en réalité dominante

Chloe a environ vingt-cinq ans de moins que Catherine, mais semble souvent plus lucide, plus expérimentée, plus consciente de ce qu'elle veut. Elle prend plaisir au contrôle psychologique qu'elle exerce sur ses clients, ainsi qu'à la précision de ses propres mécanismes de séduction. Amanda Seyfried interprète Chloe comme une femme parfaitement consciente de ses outils : son corps, qu'elle vend, et son esprit, qui ne se soumet à personne.

Julianne Moore, actrice d'une finesse remarquable, fait évoluer Catherine dans un glissement subtil, qu'elle croit maîtriser alors même qu'il lui échappe. David, quant à lui, demeure une énigme, autant pour sa femme que pour le spectateur.

Une conclusion volontairement inconfortable

Egoyan pousse son récit jusqu'à une conclusion qui pourra déstabiliser certains spectateurs. Est-elle arbitraire ? Peut-être. Mais la plupart des conclusions dans la vie le sont. Chloe n'est pas un film qui cherche la certitude d'un dénouement. Il s'intéresse davantage à la continuité des dynamiques qu'à leur résolution.

Le réalisateur laisse volontairement certaines zones dans l'ombre. Sa fascination centrale demeure les motivations de Chloe. Agit-elle uniquement pour l'argent ? Respecte-t-elle strictement les demandes de ses clientes ? Reste-t-elle émotionnellement détachée ? Ou retire-t-elle autre chose de ces relations, au-delà de la transaction ?

Ce que le film nous laisse après coup

À un moment, on demande à Chloe comment elle parvient à supporter certains clients, parfois repoussants. Elle répond simplement qu'elle essaie toujours de trouver quelque chose qu'elle peut aimer. Une phrase qui résume à elle seule la complexité du personnage.

Une fois le film terminé, il mérite d'être rejoué mentalement. Qui désire quoi ? Qui obtient satisfaction ? Qui décide ? Egoyan ne raconte jamais une histoire à un seul niveau. Il ne révèle jamais totalement les motivations, parfois même à ses propres personnages. Il invite le spectateur à observer des surfaces trompeuses, derrière lesquelles les rapports de pouvoir peuvent basculer à tout instant. Chloe est un film de tensions silencieuses, où la sexualité devient le moteur de décisions fondées sur des perceptions souvent erronées. Un réseau complexe, dérangeant, mais profondément captivant.

La bande annonce de "Chloé"

Amélie N.

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