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| Kyrian Malone | Billets d'humeur

Pourquoi naître lesbienne est un privilège dans un monde patriarcal

(Temps de lecture: 4 - 8 minutes)

Pourquoi naître lesbienne est un privilège dans un monde patriarcal

On dit souvent que la vie, c’est une loterie et soyons honnêtes, c'est une évidence !

Certains tirent le mauvais numéro dès la naissance : pauvreté, maladies rares, mocheté, famille dysfonctionnelle, pays instables, et j'en passe… Et d’autres héritent parfois de privilèges qu’ils n’ont rien fait pour mériter, mais qui changent tout. Eh bien moi, je fais partie des grandes gagnantes.

Non, je n’ai pas touché l’Euromillions ni hérité d’une villa au Costa Rica. Mieux : je suis née lesbienne.

Et dans un monde saturé de testostérone, être lesbienne, c’est le vrai jackpot !

Parce que voyez-vous, pendant que mes copines hétéros naviguent dans l’océan de la masculinité (souvent toxique) comme des naufragées cherchant un radeau, moi j’ai tranquillement planté ma chaise longue sur la rive. Je les vois défiler une par une avec leurs histoires de princes charmants... qui tournent au thriller psychologique.

Et à chaque fois, je me dis : « Mon Dieu, merci de m’avoir épargnée cette épreuve. »

Sommaire

La violence comme horizon par défaut

Soyons honnêtes : être une femme hétérosexuelle aujourd’hui c’est un peu comme vivre en sursit dans l'attente de trouver le mec bien… et pour mes amies, cela ressemble vraiment au parcours du combattant. Elles sont obligées de multiplier les rendez-vous pour s'assurer que c'est le bon. 

Statistiquement les hommes sont responsables de l’écrasante majorité des violences faites aux femmes (en moyenne 90% des crimes) : agressions, féminicides (55 en 2025 au moment où j'écris cet articles), viols, meurtres, violences conjugales, etc... Pas besoin d’aller chercher les chiffres très loin, l’ONU les sert sur un plateau chaque année. Et pourtant, la société continue de vendre la romance hétérosexuelle comme un conte de fées universel, un destin naturel, un rêve à atteindre. C'est surtout de la science-fiction !

Et je regarde mes amies hétéros se goinfrer de feel-good, les plus tordues se délectant de la DARK, et qui s’accrochent à leurs mecs comme à des gilets de sauvetage troués, et je me dis : « Il faut aimer vivre dangereusement, quand même. »

La fausse liberté des hétéros

J’entends déjà : « Mais enfin, les lesbiennes aussi peuvent vivre des violences, tu sais ? » Evidemment !  Je ne suis pas en train de peindre notre existence en rose pastel (quoique avec le drapeau lesbien, ça pourrait se discuter et j'adore le rose). Les lesbiennes aussi peuvent croiser la route de prédateuses, subir des agressions, ou vivre des relations toxiques entre femmes. Je ne dis pas qu'être lesbienne c'est une immunité totale. 

Mais… reconnaissons que par simple mécanique de probabilité, nous avons moins de chances de finir étranglées dans notre lit par la personne qui partage nos draps. Et ça, déjà, c’est un sacré soulagement.

Donc, pendant que mes copines hétéros se demandent si elles peuvent porter cette robe sans que leur mec leur fasse une crise de jalousie, moi je suis libre de m’habiller comme je veux sans craindre l’explosion d'un ego masculin ayant le besoin de marquer son territoire ou de m'habiller comme une nonne. 

Le filtre de base : zéro homme dans le lit

Le plus grand luxe de la vie lesbienne c’est ça : le filtre automatique, celui qui écarte d’office les candidats masculins.

Parce que je ne sais pas si vous avez remarqué, mais l’hétérosexualité c’est réussir à deviner quel mec ne te fera pas pleurer dans six mois. Spoiler : tu perds presque à tous les coups.

Moi, j'ai reçu à la naissance une sorte de logiciel antivirus intégré : « Attention, cet utilisateur est porteur de patriarcat, voulez-vous continuer ? »

— Non merci.

Ma "chance" vue de l’extérieur

Évidemment, pour certaines, ce discours passe mal. On me dit parfois : « Tu exagères, tous les hommes ne sont pas comme ça. » Honnêtement mesdames ? Regardez dans votre entourage et dites-moi combien de vos amies ont vécu des drames avec ces messieurs... Dans le mien c'est simple. Voici le topo "familles + amies proches" .

  • 5 vivent ou ont vécu des relations toxiques,
  • Une est célibataire,
  • Une semble avoir une vie heureuse avec son mari efféminé probablement gay avec qui elle n'a plus de rapport sexuelle depuis 10 ans ou plus,
  • Une a l'air vraiment heureuse avec son mari et ses deux enfants

Le bilan n'est pas encourageant et je vous jure, parfois j’ai presque honte de ma tranquillité. Presque...

Pas de patriarcat dans la chambre

On sous-estime à quel point l’hétérosexualité est colonisée par le patriarcat jusque dans l’intime.

Quand tu es lesbienne, il n’y a pas cette hiérarchie implicite où Monsieur décide et Madame s’adapte (même si j'admets qu'au Québec, c'est souvent les dames qui tiennent la culotte).

Dans une relation entre femmes, tout est à inventer et en général, les choses s'équilibrent d'elles-mêmes quand on rencontre son "égale" : la répartition des tâches, la communication, la sexualité. C’est un immense espace de liberté.

Oui, on peut reproduire des schémas de domination, mais il n’y a pas ce poids millénaire de l’homme propriétaire et de la femme. Et ça, croyez-moi, ça change la respiration dans une maison.

Le karma de l’alignement

Alors, est-ce que c’est vraiment du "bon karma" que de naître lesbienne ? Je pense que oui... à moins bien sûr de naître en Arabie Saoudites, en Irak, en Palestine ou dans ces pays où on vous jette d'un immeuble si vous êtes gay... Parce qu'il y a une satisfaction profonde à se dire que je n’aurai jamais à gérer certains drames typiques de mes amies hétéros.

Je ne connaîtrai pas la joie de devoir fuir mon appartement en pleine nuit parce qu’un mec est devenu violent. Je ne vivrai pas cette peur sourde quand il rentre ivre. Je n’aurai pas à expliquer à ma fille pourquoi son père crie si fort.

Et, pendant qu’on y est, je n’aurai pas non plus à :

  • Faire semblant de dormir pour éviter un rapport sexuel imposé, comme le vivent des millions de femmes mariées dans le monde.
  • Baisser la voix ou changer de tenue pour "ne pas provoquer" la colère masculine.
  • Négocier avec moi-même pour savoir si je mérite les insultes quotidiennes.
  • Calculer l’angle de fuite dans un couloir au cas où "monsieur" deviendrait incontrôlable.
  • Apprendre à mes enfants comment "désamorcer papa" pour éviter la prochaine crise.
  • Vivre avec cette statistique collée au front : chaque heure, cinq femmes sont tuées dans le monde par leur compagnon ou un membre masculin de leur famille...

Bon, la liste n'est pas exhaustive, c'est une chronique, pas un roman... mais franchement, rien que pour ça, je me sens bénie.

📊 Les chiffres qui tuent

Chaque heure, 5 femmes sont tuées dans le monde par leur compagnon ou un membre masculin de leur famille.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), près d'une femme sur trois a déjà subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire masculin au cours de sa vie.

Sources : OMS – Violence against women, 2021.

Les clichés à la pelle

Évidemment, être lesbienne ne m’a pas épargnée d’autres emmerdes : l’homophobie ordinaire même si je n'ai pas trop à me plaindre de ce côté là au Canada... Mais au moins, mes blessures ne sont pas celles infligées par quelqu’un que je considère comme "l’homme de ma vie" ou pire, mon propre père, frère, oncle, etc.... qui me considèrent eux-aussi comme leur propriété.

Quand je regarde autour de moi, j’ai envie de dire à mes copines hétéros : « Venez, on vous accepte aussi. Changez de camp, on a du café, des chatons et zéro violence conjugale masculine. » Mais bon, c’est rarement aussi simple.

Le vrai luxe

La vraie chance, c’est peut-être ça : grandir et aimer sans avoir à composer avec la violence masculine comme donnée de base. Je vous jure, c’est un luxe invisible, parce que nous, lesbiennes, nous passons que peu de temps à défendre notre existence... (si nous ne vivons évidemment pas dans un pays ou une zone où l'homophobie est culturelle voire cultuelle)

Alors aujourd’hui, j’ai envie de lever mon verre, un bon mojito, à toutes celles qui ont eu ce “bon karma”. Et à toutes celles qui, même sans ce privilège, trouvent la force de survivre et de se battre dans ce monde construit pour les abîmer.

Car oui, c'est un privilège.

On parle beaucoup de privilège masculin, mais on pourrait vraiment inventer le terme de "privilège lesbien", non pas au sens social (on sait bien que la lesbophobie existe - quoi que je déteste ce suffixe en -phobe utilisée à mauvaises escient pour différentes propagandes politiques), mais au sens de l’intime : le privilège de ne pas avoir à gérer un homme à la maison.

C’est un privilège qui ne s’affiche pas sur un CV, qui ne donne pas un meilleur salaire, mais qui sauve des années de santé mentale, des milliers d’heures de sommeil et un nombre incalculable de larmes. (et pour en avoir versé en voyant mes proches souffrir, je sais de quoi je parle)

Plus sérieusement, quand je vois l’état émotionnel de certaines de mes amies hétéros après plusieurs années de mariage, je me dis que oui, c’est un privilège que je chérirai jusqu’à ma mort.