"Ed Gein" : le mythe du tueur transexuel / transgenre
Ed Gein n’était pas transgenre (à l'époque seul le terme transexuel était utilisé), mais certains diront que cela n’a pas empêché Hollywood de nourrir la narration transphobe de son histoire qui a également inspirée Psychose et Le Silence des agneaux.
Avertissement : cet article contient des révélations majeures sur la série Monster : Ed Gein diffusée sur Netflix, ainsi que des descriptions de crimes et de représentations transphobes.
Sommaire
Dès la première minute de la bande-annonce de Monster : Ed Gein (interprété par Charlie Hunnam), ce dernier se tord dans un soutien-gorge vert foncé et une culotte assortie, avant de sautiller dans son salon, vêtu d’un collant en nylon, d’une robe de maison modeste et d’un masque fabriqué à partir de la peau du visage d’une femme morte. Une bande-annonce à la fois répugnante et fascinante, à l’image des crimes de Ed Gein et de la fascination morbide qu’ils exercent depuis les années 1950, époque où son nom fit les gros titres pour la première fois.
Le contexte politique de la diffusion
Il y avait bien des raisons de lever les yeux au ciel devant cette nouvelle incursion de Ryan Murphy dans le genre du slash-exploitation, mais la plus importante tient au contexte dans lequel la série paraît. Cinq jours à peine avant la mise en ligne de la bande-annonce, l’activiste et co-fondateur de Turning Point USA, Charlie Kirk, a été abattu.
Quelques instants avant sa mort, une personne dans la foule l’avait interrogé sur le nombre de tueurs de masse identifiés comme trans au cours de la dernière décennie. « Trop », avait-il répondu.
Ce nouvel opus de Monster arrive donc dans un moment politique particulièrement tendu où, malgré l’absence totale de preuve d’un lien entre la transidentité et la violence, la droite américaine s’efforce de présenter presque chaque tueur de masse comme trans afin de justifier des attaques contre les droits des personnes trans.
Même si la série cherche en apparence à rompre ce lien entre identité trans et violence (notamment dans l'avant dernier épisode), elle ne le fait qu’après avoir d’abord exploité ce cliché. Selon plusieurs trans-activistes, compte tenu des conséquences réelles de telles représentations – surtout lorsqu’il s’agit du personnage à l’origine du stéréotype du tueur trans-féminin – il devient difficile de justifier l’existence même de cette saison.
Mais doit-on justement travestir l'histoire et les témoignages réunis sur le tueur en série pour autant ?
Qui était vraiment Ed Gein ?
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas les faits, Ed Gein, surnommé le « boucher de Plainfield », était un tueur en série américain devenu tristement célèbre en 1957, lorsque la police découvrit qu’il avait profané une quarantaine de tombes et utilisé des parties des corps de femmes déterrés pour s'en faire des costumes humains, et fabriquer divers objets domestiques, notamment des montants de lit faits de crânes et une ceinture ornée de tétons.
Peu de temps s’est écoulé entre la découverte des crimes d’Ed Gein et les premières spéculations sur son identité de genre.
La police du Wisconsin l’arrêta le 16 novembre 1957. Moins d’un mois plus tard, le magazine Life publia un reportage de huit pages sur ses meurtres atroces, précisant que Gein « souhaitait être une femme ». Cette affirmation fut avancée avant même que Ed Gein ne soit examiné par un psychiatre, probablement influencée par une note du Milwaukee Journal qui évoquait son « attachement anormal » à sa mère, selon le magazine Reactor, spécialisé dans la littérature de science-fiction et fantastique.
De plus, un psychiatre n’ayant jamais rencontré Ed Gein affirma qu’il présentait des signes de « transvestisme aigu ». Pourtant, aucun élément de son profil ne faisait mention de travestissement ni d’interrogation sur son identité de genre. Un procès-verbal de polygraphe indique bien que Ed Gein aurait reconnu qu’« il se pouvait » qu’il aime porter des vêtements féminins, mais il était connu pour être extrêmement influençable et souvent incapable de distinguer la vérité des récits qu’on lui suggérait.
Le cliché du tueur travesti dans les médias
Comme souvent, le mythe s’est répandu plus vite que la vérité. En 1959, Robert Bloch publia Psychose, roman partiellement inspiré des crimes de Ed Gein. L’année suivante, Alfred Hitchcock en tira son adaptation cinématographique, qui donna naissance au tueur travesti, archétype repris ensuite dans des films d’horreur comme Pulsions. Plusieurs œuvres revendiquèrent d’ailleurs s’inspirer directement de Ed Gein, dont Massacre à la tronçonneuse et Le Silence des agneaux, où les meurtriers sont codés comme transgenres.
Même si ces films ne vise sans doute pas à stigmatiser les personnes trans, ils ont, selon l’autrice et podcasteuse Harmony Colangelo (Bloody Disgusting, 2020), « exploité l’inconfort du public envers les gens comme moi, et cette attitude perdure encore aujourd’hui ». Elle ajoute que dans ces représentations, la peur de la transidentité finit par éclipser celle de la mort : « La panique provoqué par les personnes trans devient plus terrifiante que la menace de mourir. »
Dans la revue Jump Cut, K.E. Sullivan parvient à une conclusion semblable en étudiant Le Silence des agneaux, comparant Buffalo Bill, tueur codé comme trans, à Hannibal Lecter, seul homme du film qui ne sexualise ni n’humilie Clarice Starling.
« Le pivot du récit, écrit-elle, réside dans la révélation des motivations de Bill : il veut se confectionner un "costume de femme". Le film suggère qu’il est monstrueux non tant parce qu’il tue (Lecter tue aussi), mais parce qu’il coud, se maquille et désire une opération de changement de sexe. »
Plusieurs personnalités activistes en arrivent à cette conclusion : ces représentations persistantes au cinéma créent un cercle vicieux : à force d’associer transidentité et déviance, elles nourrissent la peur et la haine anti-trans fondées sur un mensonge journalistique initial. Mais peut-on dire qu'il y a mensonge puisqu'il est avéré que le tueur portait des vêtements féminins et se faisait des peaux de femmes avec les corps ?
« Les fictions inspirées des crimes de Gein comptent parmi les plus célébrées du cinéma, conférant ainsi une légitimité à sa légende et au message qu’elle véhicule », explique Colangelo, qui a étudié ce trope dans son ouvrage Sleepaway Camp.
« La déviance de genre, l’échec de la masculinité et la folie sont constamment reliés entre eux dans la fiction, parce que beaucoup de gens y voient un reflet de la réalité - une idée qu’une vie entière d’histoires a contribué à renforcer. »
Comment Ed Gein est dépeint dans Monster de Ryan Murphy
Cela ne signifie pas que Monster adhère entièrement à l’idée que l’identité de genre de Gein soit liée à ses crimes ; même si la bande-annonce laisse présager un traitement reposant sur ce cliché du début à la fin, la série tente de ménager les deux angles.
Au début, la petite amie de Gein, Adeline Watkins (interprétée par Suzanna Son), lui montre des photographies d’atrocités nazies – qui, selon les rapports, auraient réellement influencé le meurtrier – ainsi qu’un article consacré à Christine Jorgensen, devenue en 1952 la première personne connue aux États-Unis à avoir subi une chirurgie d’affirmation de genre. Ces images éveillent la curiosité de Gein.
Tout au long de la série, on le voit enfiler des vêtements féminins et des morceaux de peau, se masturber en lingerie, scènes présentées sans réelle distance. (Il est peu probable que le spectateur moyen connaisse les notions de gynéphilie ou d’autogynéphilie, souvent controversées et abusivement associées à la transidentité.) Dans les derniers épisodes, Ed Gein converse depuis sa cellule avec Jorgensen à travers un poste radio amateur, dans un échange imaginaire où celle-ci lui affirme qu’il n’est pas transgenre.
« Je ne crois pas que vous et moi soyons semblables, dit Jorgensen au tueur. Le transsexuel est rarement l’auteur de violence, monsieur Gein. Nous en sommes bien plus souvent les victimes. »
Ainsi, de nombreux commentateurs activistes diront que bien que la série cherche à déconstruire le cliché du tueur trans, elle ne le fait qu’après avoir largement profité du fantasme d’un homme dansant dans les vêtements de sa mère et convoitant la lingerie de sa compagne.
« Il était très important pour nous d’établir cette distinction, expliquait le co-scénariste Ian Brennan à Tudum : dire clairement : "Regardez, ce sont deux choses totalement différentes." »
Mais malgré cette intention affichée de rompre avec la mythologie culturelle de Ed Gein, Monster demeure fascinée par elle. Une grande partie de la série se concentre sur la genèse de Psychose et de Massacre à la tronçonneuse, deux œuvres construites sur la dimension sensationnaliste de ses crimes plutôt que sur ce que Harmony Colangelo décrit comme « la réalité narrativement insatisfaisante » : celle d’un homme profondément malade, incapable de gérer son deuil, marqué par des années de traumatisme religieux.
« On continue d’alimenter la légende d’Ed Gein parce que, face au choix entre la vérité et la légende, on choisit toujours d’imprimer la légende », conclut Colangelo.
Reste à savoir si Monster : Ed Gein pourra – ou voudra – avoir un effet positif dans le débat actuel, biaisé, autour des personnes trans et de la violence. Les précédentes saisons de la série ont pourtant suscité de véritables réflexions sociales : celle sur Jeffrey Dahmer avait ouvert un débat sur l’exploitation des histoires de victimes noires et handicapées à des fins de divertissement, tandis que la saison suivante, consacrée aux frères Menendez, avait conduit à reconsidérer leur culpabilité.
Avec Ed Gein, Murphy s’empare d’un sujet brûlant qui traverse déjà l’espace public.
Mais y apporte-t-il vraiment quelque chose d’utile ? Certaines vieilles histoires, comme les corps des tombes du Wisconsin, gagneraient peut-être à rester enfouies.
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