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Gamiani ou Deux nuits d’excès – Nouvelle érotique lesbienne d’Alfred de Musset

(Temps de lecture: 4 - 8 minutes)

Gamiani d’Alfred de Musset.

Je vais vous faire une confidence : je suis absolument « fan » de littérature érotique. En tout premier lieu, lesbienne, cela va sans dire, mais je ne dédaigne pas la « mixte » si elle est bien écrite, surtout respectueuse de mes sœurs et qu’elle met en valeur les attraits de l’éternel féminin.

Malheureusement, dans tous les cas de figure, aujourd’hui, il y a pléthore d’offres mais peu d’élues si on s’en réfère à la qualité. Alors, on peut toujours se tourner vers les périodes classiques de la littérature.

Sommaire

La naissance de la littérature érotique

Le roman libertin est un genre qui apparaît au XVIIe siècle. Le premier dont on a trace est édité en 1655, il s’agit de L’Escole des filles dont l’auteur reste inconnu. L’ouvrage est bien évidemment condamné et les 300 exemplaires imprimés finissent brûlés. Il fera cependant l’objet de nombreuses rééditions et ventes clandestines. Pour l’anecdote, on en trouva un exemplaire dans la chambre des dames de compagnie de Marie-Anne de Bavière, dite « la Grande Dauphine », épouse du dauphin Louis de France. Il paraît que le brave Louis XIV était furax ! Autre potin croustillant, certains en ont attribué l’écriture à la première femme du poète Scarron, Françoise d’Aubigné, qui deviendra la sombre et psychorigide Madame de Maintenon, la dernière épouse morganatique de ce souverain. C’est que la Françoise, elle n’a pas été toujours aussi glacialement prude, puisqu’on sait maintenant, qu’avant son mariage avec le roi soleil, elle a partagé sa couche avec la courtisane Ninon de Lenclos et l’amant de celle-ci, Louis de Mornay, marquis de Villarceaux (parfois, en même temps) !

Plus qu’un roman mettant en scène des actes sexuels explicites, L’Escole des filles est plutôt un manuel sous forme de dialogues entre deux cousines, du style « Le sexe pour les nulles » avec des descriptions plutôt techniques des divers coïts et préliminaires.

Mais, c’est au XVIIIe siècle que le genre s’impose en force. En premier lieu avec l’incontournable Donatien Alphonse François, Marquis de Sade. Mais, parmi les auteurs classiques, on peut citer également Denis Diderot avec Les Bijoux indiscrets. À ce sujet, petite parenthèse pour une précision d’importance : non, La Religieuse de ce dernier n’est pas un roman érotique comme je l’ai entendu si souvent dire. Antireligieux, féministe et lesbien, oui, mais pas érotique.

À part chez Sade, et c’est typiquement masculin, les scènes lesbiennes sont souvent réduites à la portion congrue et n’ont de justification que celle des préliminaires pour faire monter le désir mâle.

Le siècle suivant voit également fleurir les ouvrages licencieux. Mais ici aussi, les scènes saphiques ne servent au mieux qu’à une « introduction » des séquences mixtes. Il existe cependant nombre d’exceptions, dont celle de l’objet de ma chronique d’aujourd’hui. Si le genre vous plaît, je me ferais un plaisir d’en présenter d’autres.

Alfred de Musset

Dans la mémoire populaire, il est la représentation quasi universelle du romantisme. Le romantisme, rappelons-le, après avoir été tant galvaudé, c’est l’expression artistique, aussi

bien en littérature, qu’en musique, peinture et sculpture d’exprimer ses états d’âme et de privilégier les sentiments par rapport à la raison.

Ses chefs-d’œuvre, et ils sont nombreux, sont Lorenzaccio, Les caprices de Marianne, On ne badine pas avec l’amour, Fantasio, À quoi rêvent les jeunes filles, etc. L’amour chez cet auteur, est quasiment désincarné et la sensualité juste évoquée.

Gamiani rompt avec cela pour ne privilégier que le caractère sexuel bien avant les sentiments. En outre cette nouvelle se focalise principalement, mais non exclusivement, sur des rapports lesbiens.

Première nuit d’excès

Alcide, le narrateur, jeune dandy, certainement parisien, est tombé sous le charme de la jeune comtesse Gamiani l’hôtesse de la soirée à laquelle il a été invité. Il apprend d’une conversation que celle-ci est lesbienne. Sa réaction, typiquement masculine, est immédiate :

« Une tribade ! Oh ! Ce mot retentit à l’oreille d’une manière étrange : puis, il élève en vous je ne sais quelles images confuses de voluptés inouïes, lascives à l’excès. C’est la rage luxurieuse, la lubricité forcenée, la jouissance horrible qui reste inachevée.

Vainement j’écartais ces idées, elles mirent en un instant mon imagination en débauche. Je voyais déjà la comtesse nue, dans les bras d’une autre femme, les cheveux épars, pantelante, abattue et que tourmentent encore un plaisir avorté. »

Il suit cependant la comtesse Gamiani jusque dans sa chambre et s’y cache pour jouer les voyeurs. Arrive alors la jeune Fanny, d’une quinzaine d’années. Celle-ci est malheureusement retenue dans l'hôtel particulier de la comtesse à cause d’un orage violent qui vient de s’abattre. Elle lui propose bien évidemment de l’héberger et même de partager son propre lit afin de la rassurer. La suite, vous devez bien la deviner…

« La bouche de la comtesse se promenait lascive, ardente, sur le corps de Fanny. Interdite, tremblante, Fanny laissait tout faire et ne comprenait pas.

C’était bien un couple délicieux de volupté, de grâces, d’abandon lascif, de pudeur craintive. On eut dit une vierge, une ange, aux bras d’une bacchante en fureur. »

Fanny succombe et Alcide assiste à la jouissance finale des deux femmes. Bien évidemment, remonté comme un ressort, il intervient. Après un premier assaut, apaisés, chaque membre du trio raconte ses premières expériences sexuelles. Basées sur la soumission de Gamiani avec une tante dominatrice et sadique, sur l’onanisme et ses rêves pour Fanny et Alcide.

Même si un mâle est entré en scène, la suite de la première nuit reste essentiellement saphique, en outre avec l’intervention de Julie, la femme de chambre de Gamiani.

Une seconde nuit d’excès plutôt dérangeante

Alcide après cette première nuit tente de se rapprocher de Fanny. Celle-ci, même si elle y a participé, a mal vécu sa première nuit d’amour. Rien n’y fait, et elle finit par retomber sous le charme de la comtesse Gamiani qui sait se montrer convaincante :

« Non, non, écoute encore, écoute Fanny. Être nues, se sentir jeunes et belles, suaves, embaumées, brûler d'amour et trembler de plaisir ; se toucher, se mêler, s'exhaler corps et âme en un soupir, un seul cri, un cri d'amour.... Fanny ! Fanny ! c'est le ciel. »

Comme la première nuit, après une étreinte initiale, la comtesse raconte la suite de sa vie sexuelle. À partir de ce moment, Alfred de Musset ne semble plus avoir de limites. Il explore des pratiques plus ou moins marginales de la sexualité. Gamiani, surprise en plein rapport zoophile avec un orang-outan est envoyée au couvent. L’auteur exploite alors les fantasmes

qui sont liés aux religieuses : rapports lesbiens, sexualité de groupe. Y sont ajoutées de nouveau la zoophilie et même la nécrophilie.

En conclusion de sa nouvelle, Alfred de Musset pousse dans ses limites plus qu’extrêmes la passion charnelle et cela est effectivement dérangeant. C’est la raison pour laquelle Gamiani est et reste une œuvre du romantisme qui exalte et cherche l’évasion et le ravissement dans le rêve, le sublime et le morbide.

Mon avis

Ainsi que je viens de le dire, Gamiani ou deux nuits d’excès est un texte fort, très fort. Jamais un tel ouvrage n’a autant mérité les avertissements habituels de « réservé à un public averti ». Cependant je ne m’en lasse pas. C’est l’apothéose du romantisme y compris dans les scènes de sexe. Celles-ci sont crues mais jamais vulgaires. Romantiques, car parfois proches du fantastique. Cette nouvelle, je la relis assez souvent.

Et puis, je le répète, elle m’a séduite par son caractère essentiellement lesbien.

Quelques précisions au sujet de Gamiani

  • Parmi les nouvelles ou romans érotiques, cet ouvrage a battu un record en termes de nombre d’éditions puisqu’on en compte aujourd’hui plus de 40 !
  • L’une d’entre elles porte le nom de George Sand en tant que co-auteure. Cela ne serait pas étonnant puisqu’ils étaient amants et que l’écrivaine était à l’origine de l’argument de Lorenzaccio. En plus, c’est dans « son style », comme le montre une anecdote littéraire savoureuse à leur sujet : http://5ko.free.fr/fr/sand.html Cependant il est peu probable que George Sand ait participé à l’écriture de ce texte érotique lesbien. Je suis absolument navrée, mais je vais sans doute mettre à mal un mythe de l’inconscient collectif de la communauté : non, George Sand n’était pas homosexuelle ! Si certaines d’entre vous le souhaitent, je serais ravie d’en écrire un peu plus à ce sujet dans l’une de mes prochaines chroniques. Faites-le simplement savoir par un commentaire ici même ou sur FB.
  • Avec une quarantaine de rééditions, il y a bien évidemment pléthore d’illustrateurs de cette nouvelle. L’originale l’avait été par Achille Devéria. Parmi mes préférées, celle de l’illustratrice Suzanne Ballivet. Vous pourrez trouver d’autres illustrateurs dans la page du site Honesterotica (en langue anglaise) sous les références Gamiani. · Le texte, bien évidemment du domaine public, est disponible dans Wikisource .

Bonnes lectures !