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Les secrets de l'incroyable essor des romans d'amour LGBTQ+ ?

(Temps de lecture: 4 - 7 minutes)

Les secrets de l

Romance Land est actuellement le théâtre d'une transformation capitale en Amérique du nord - et aussi en France d'après nos sources ! Il y a eu une époque où seuls les couples hétérosexuels figuraient dans les romans d'amour publiés par les principaux éditeurs américains. Aujourd'hui, les cinq plus grands éditeurs mettent régulièrement en avant des récits d'amour entre individus de même sexe.

Entre mai 2022 et mai 2023, les ventes de romans d'amour LGBTQ+ ont connu une hausse de 40 %, représentant la deuxième plus importante progression durant cette période, juste derrière celle des romans pour adultes en général, qui ont vu leurs ventes augmenter de 17 %.

Les chiffres de 2023 s'inscrivent dans la continuité d'une explosion initiée en 2016 : sur les cinq années allant de mai 2016 à mai 2021, le marché des romans d'amour LGBTQ+ a enregistré une croissance spectaculaire de 740 %.

Il est séduisant d'interpréter cette tendance comme un reflet de l'évolution de notre société.

De nos jours, les couples homosexuels sont omniprésents, que ce soit dans les séries télévisées, les publicités ou même les films de Noël de Hallmark.

Il semblait donc logique que des ouvrages tels que "Red, White & Royal Blue" de Casey McQuiston, "Payback's a Witch" de Lana Harper et les captivants romans d'amour historiques de Cat Sebastian mettant en scène des personnages homosexuels se hissent au rang de best-sellers.

Cependant, le succès croissant des romans d'amour LGBTQ+ n'était pas un chemin tout tracé.

Notre étude récente, qui s'appuie sur des entretiens avec des éditeurs et des auteurs de romances, révèle que les principaux éditeurs américains percevaient initialement les romans d'amour LGBTQ+ comme un marché de niche. Ils n'ont revu leur stratégie qu'après avoir observé le formidable succès des ebooks LGBTQ+ publiés par des éditeurs indépendants.

Le commerce de la romance

Dans le secteur de l'édition, comme dans la plupart des industries du divertissement, prévaut traditionnellement ce qu'Anita Elberse, professeure à la Harvard Business School, qualifie de stratégie du "blockbuster". Cette approche consiste pour les éditeurs à investir des sommes importantes dans l'acquisition et la promotion de livres destinés à devenir des best-sellers incontestables, à l'image de "Spare" du Prince Harry, pour lequel une avance de 20 millions de dollars a été versée.

Pour les maisons d'édition, il est nettement plus rentable d'adopter une stratégie commerciale "d'un à plusieurs", c'est-à-dire de vendre un seul livre à une large audience, plutôt qu'une approche "de plusieurs à plusieurs", qui impliquerait la distribution d'une plus grande diversité d'ouvrages vers de nombreux petits segments de marché.

Traditionnellement, l'industrie a considéré que les romances homosexuelles ne s'adressaient qu'à un public de niche relativement limité, les rendant ainsi des paris plus risqués. De ce fait, pendant longtemps, les récits d'amour LGBTQ+ ont été principalement publiés par de petites maisons d'édition spécialisées dans les thématiques gay ou lesbienne.

Toutefois, dès 2010, l'avènement de l'édition numérique pour les romans d'amour, tant de la part d'auteurs auto-édités que de petits éditeurs exclusivement numériques tels que Ellora's Cave et Samhain, a mis en lumière un désir profond et jusque-là négligé pour des romances plus variées. Les "cinq grands" éditeurs — Hachette, HarperCollins, Macmillan, Penguin Random House et Simon & Schuster — ont réalisé que leur approche traditionnelle omettait une opportunité lucrative.

Initialement, ces grandes maisons d'édition ont cherché à intégrer les romances numériques dans leur stratégie de blockbusters, en achetant les droits de ces ouvrages pour les publier en format papier.

Cette stratégie a porté ses fruits pour "Cinquante nuances de Grey" d'E.L. James, qui est passé d'une fanfiction à une publication par une petite maison d'édition numérique, avant d'être finalement repris par Penguin.

Cependant, pour les auteurs de romances LGBTQ+, les coûts fixes élevés, les importants volumes d'impression et un cycle de production d'un an ne s'avéraient tout simplement pas adaptés pour des œuvres visant des niches de marché potentiellement plus étroites.

À mesure que les amateurs de romans d'amour délaissaient les formats poche au profit d'un éventail d'histoires plus vaste et plus innovant, les éditeurs de romances issus de grandes et moyennes maisons ont réalisé la nécessité de se tourner vers l'édition numérique.

Les livres LGBTQ dans les pays francophones

En parallèle de l'évolution remarquable du marché des romans d'amour LGBTQ+ en Amérique du Nord, la France n'est pas en reste, portée notamment par des acteurs clés tels que Homoromance Éditions.

Cette maison d'édition, spécialisée dans la littérature lesbienne, joue un rôle crucial dans la diversification et la visibilité des récits d'amour LGBTQ+ en France. Fondée avec l'ambition de combler le manque de représentation lesbienne dans la littérature romantique, Homoromance Éditions propose un large éventail de récits, allant des romances contemporaines aux histoires fantastiques, soulignant ainsi la richesse et la diversité des expériences amoureuses lesbiennes.

Le succès de Homoromance Éditions illustre non seulement un appétit croissant pour des histoires d'amour diversifiées parmi les lecteurs français mais témoigne également de l'importance de soutenir des initiatives éditoriales dédiées à promouvoir l'inclusivité et la reconnaissance de toutes les formes d'amour. Ce modèle d'engagement en faveur de la diversité enrichit le paysage littéraire français et encourage un dialogue culturel plus ouvert et inclusif, en résonance avec les tendances observées sur le marché américain.

Faire payer l'amour

Comment ont-ils procédé ?

D'abord, ils ont recruté de nouveaux éditeurs provenant de petites maisons d'édition numériques spécialisées dans la publication de romances entre personnes du même sexe. Pour notre analyse, nous avons interviewé plusieurs de ces professionnels, dont Mary Altman de Sourcebooks et Angela James, qui a fondé Carina Press chez Harlequin. Depuis 2014, Harlequin est une filiale de HarperCollins.

Angela James, ancienne collaboratrice chez Samhain, a transgressé les conventions éditoriales établies en créant Carina, la première entité numérique au sein d'une maison d'édition traditionnelle. En optant exclusivement pour la publication numérique, Carina a réussi à réduire les coûts de production et de distribution, proposant aux auteurs des droits d'auteur plus avantageux, sans pour autant leur offrir d'avances.

Cette approche a rencontré un tel succès qu'en 2020, l'éditeur a lancé Carina Adores, une collection dédiée à la romance LGBTQ+, proposant à la fois des formats électroniques et papier.

Mme Altman, forte de son expérience dans l'acquisition de romances homosexuelles chez Ellora's Cave, a poursuivi cette démarche chez Sourcebooks, un éditeur de moyenne taille partiellement détenu par Penguin Random House. En 2020, elle a contribué à la publication du succès LGBTQ+ "Boyfriend Material" d'Alexis Hall. Par ailleurs, Sourcebooks a initié une nouvelle empreinte éditoriale, Bloom Books, en 2021, qui a optimisé les délais de publication pour mieux s'aligner sur les attentes des auteurs auto-édités et autres écrivains entreprenants.

Ces évolutions structurelles ont permis aux catalogues de romances des grandes maisons d'édition de devenir plus flexibles, plus novateurs et plus inclusifs, couvrant une diversité de couples.

Paradoxalement, beaucoup de ces récits inclusifs ont su conquérir un large public. "Boyfriend Material" s'est imposé au sommet des classements des meilleures romances de l'année 2020. Adriana Herrera, Alyssa Cole, K.J. Charles et bien d'autres auteurs de romances LGBTQ+ apparaissent désormais régulièrement dans ces listes. "Red, White and Royal Blue" a été adapté en un film original par Amazon.

Il convient de souligner que les romances LGBTQ+ ne constituent encore que 4 % du marché des romans d'amour imprimés. De plus, d'autres perspectives variées, en particulier celles des auteurs noirs, restent insuffisamment représentées. Malgré cela, les cinq grandes maisons d'édition maintiennent leur préférence pour la stratégie des blockbusters. Toutefois, les ajustements structurels qu'elles ont réalisés au sein de leurs collections de romances ont encouragé l'apparition de récits amoureux plus variés.

Dans un contexte où diverses institutions, incluant universités et entreprises, se détournent des programmes promouvant la diversité, l'équité et l'inclusion, l'essor des romances LGBTQ+ nous montre que l'inclusion ne se réalise pas spontanément.

Les transformations sociales et culturelles actuelles exigent la mise en place de nouveaux systèmes, processus et cadres. En l'absence d'un appui institutionnel, beaucoup ne parviendront pas à connaître leur fin heureuse.

Source : theconversation.com