Le double visage de la célébrité : L’histoire troublante de Tegan et Sara via Curve magazine
Traduction de l'article pour le magazine CURVE
Je me souviens de la première fois où j’ai interviewé Tegan et Sara pour le magazine Curve. Je m’étais échappée de mon travail de bureau en pleine journée, enfermée dans une salle de conférence, attendant d’être mise en relation avec les jumelles iconiques par une armée de publicistes et de représentants de maison de disques. C’était avant l’ère des visioconférences, à une époque où les interviews téléphoniques étaient la norme si l’on ne pouvait pas se rencontrer en personne. Je leur parlais alors de leur album à venir, le chef-d'œuvre pop scintillant Heartthrob.
Avec leur nouvelle identité de véritables stars de la pop, vinrent aussi les limites imposées aux artistes grand public comme Taylor Swift et Katy Perry (avec qui elles partagèrent la scène durant l’ère Heartthrob). Fini le temps où elles signaient des autographes près du bus ou passaient du temps au stand de merchandising – leur accessibilité presque emblématique pour leurs fans appartenait désormais au passé, marquant l’entrée dans une nouvelle ère. Et beaucoup de leurs fans de la première heure avaient des sentiments mitigés à ce sujet.
Cela ne veut pas dire qu’elles avaient elles-mêmes tant changé. Pendant mon interview, elles étaient toujours les Tegan et Sara bavardes, captivantes et perspicaces que nous avions appris à aimer grâce à leurs échanges enflammés sur scène et leurs vidéos YouTube, comme Forest Fone (où elles appelaient leurs amis et leur famille depuis le studio où elles enregistraient The Con) ou leurs sincères Feelings Reports. Les sœurs étaient devenues des icônes dans la communauté LGBTQ+ pour une raison : leur charme naturel et leur ouverture en tant que femmes queer assumées étaient pratiquement sans précédent à l’époque, créant un environnement propice à l’enthousiasme des fans, dont beaucoup n’avaient jamais vu une représentation d’eux-mêmes sur scène ou dans les magazines.
Alors que leur notoriété grand public atteignait de nouveaux sommets, je les ai interviewées à nouveau, et les frontières autour du groupe s’étaient encore renforcées. Aujourd’hui, avec la sortie de leur documentaire sur Hulu, Fanatical: The Catfishing of Tegan and Sara, les fans découvrent un aperçu choquant d’une épreuve terrifiante qui hante le duo depuis 2011.
Lors d’une conversation récente avec Tegan et Sara, toutes deux connectées via Zoom depuis leurs domiciles respectifs, elles ont évoqué les événements qui ont bouleversé leur vie et leur sentiment de sécurité, bien avant que le terme « relation parasociale » ne soit entré dans le langage courant.
Ce qui semblait d’abord être une simple imitation de Tegan sur Facebook via un faux profil s’est révélé bien plus sinistre. L’individu (dont l’identité reste inconnue) ne se contentait pas de contacter des fans sur les réseaux sociaux en se faisant passer pour Tegan (surnommé « Faux Tegan » ou « Fegan » dans le documentaire). Cette personne avait également pris le contrôle des comptes e-mail de Tegan et Sara, accédé à leurs disques durs, maquettes musicales, documents personnels, photos, et même aux informations médicales de leur mère, qu’elle partageait avec des fans.
Cette profonde violation de leur vie privée a ébranlé les sœurs et leur cercle rapproché, les poussant à réévaluer complètement leur image publique et le prix de la célébrité.
Réalisé par Erin Lee Carr (Britney vs. Spears), ce nouveau documentaire explore en profondeur l’impact de Fegan, non seulement sur Tegan et Sara, mais aussi sur leurs fans. Nombre des victimes de Fegan croyaient entretenir une amitié intime (et dans certains cas une relation romantique ou sexuelle) avec la star. Le film examine également les conséquences des relations parasociales poussées à l’extrême.
Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle avait choisi de raconter cette histoire maintenant, Tegan a expliqué qu’elle discutait avec un ami de ce qui s’était passé. Celui-ci, ignorant tout de cette période, fut surpris d’apprendre que, pendant qu’elles atteignaient l’apogée de leur succès grand public, elles traversaient une telle épreuve en coulisses.
« Les gens qui ne connaissaient pas cette histoire étaient choqués que cela ait pu arriver, » confie Tegan. « Mais ce qui m’a vraiment frappée, c’est que je ne me souvenais pas de beaucoup de choses, probablement en raison d’un mécanisme de dissociation, vous savez ? C’était une période folle, et je ne m’étais jamais vraiment assise pour réfléchir à ce que j’avais ressenti face à ce qui nous était arrivé. »
Lorsque la réalisatrice Erin Lee Carr a rejoint le projet, l’idée a évolué, passant d’un podcast à un documentaire, et les pièces se sont assemblées.
« Pour moi, le déclic s’est produit quand nous avons commencé à parler aux victimes, » explique Tegan. « C’est ce qui m’a poussée à aller de l’avant. Je me suis dit : ‘Je veux parler à autant de victimes que possible. Je veux comprendre ce qui s’est passé. Je veux les aider à tourner la page.’ Je sentais que je devais des réponses plus claires sur ce qui s’était produit. »
Cet esprit transparait dans le film, malgré la complexité inhérente des thèmes abordés, comme les relations parasociales « fanatiques » et la question de savoir si Tegan avait réellement une responsabilité envers ces personnes. Ce qui est clair, c’est que Tegan se soucie profondément des autres. Au-delà du traumatisme qu’elle a subi, elle était préoccupée par les nombreux fans de longue date de Tegan et Sara qui ont été victimes d’usurpation et de manipulation.
Beaucoup des victimes étaient ravies de développer ce qu’elles pensaient être des amitiés authentiques, bien que peu probables, avec l’une de leurs artistes préférées. En réalité, c’est l’une d’elles, Julie, qui a alerté le management de Tegan et Sara après que Fegan lui a envoyé un lien et un mot de passe pour un iDisk contenant des maquettes, des informations de passeport, et des photos de l’intérieur de la maison de Tegan. Julie trouvait que cet échange semblait inhabituel. En revanche, les victimes qui croyaient entretenir des relations romantiques ou sexuelles avec Tegan étaient blessées, voire en colère, envers la véritable Tegan pour les actes de son imposteur.
Alors que l’ampleur cauchemardesque des actions de Fegan commençait à être révélée, Tegan et Sara travaillaient sur les chansons qui allaient composer Heartthrob (2013), l’album qui les propulserait sous les feux de la rampe du grand public. Je me suis demandé si la découverte de Fegan avait influencé leur processus créatif, voire leur envie de continuer à faire de la musique.
« Je pense que ça s’inscrivait dans une période de notre carrière où nous réfléchissions justement à devenir plus populaires, » explique Sara. « Et bien que cela ait été déstabilisant, obsédant et invasif, d’une certaine manière, ça nous a donné un coup de pied aux fesses en nous disant : “OK, si on veut devenir plus grandes, il va aussi falloir reconnaître que ça va changer notre relation avec notre public.” Et peut-être que ce n’est pas une mauvaise chose. »
En parlant de l’intensité de la célébrité, Tegan ajoute : « Les gens viennent vers toi et te racontent les choses les plus personnelles. Ils tremblent, ils pleurent, ils transpirent sur toi. Certains dépassent les limites et font des choses horribles ou dégoûtantes, mais la plupart se contentent de dire “Je t’aime”. Et moi, je n’arrive même pas à dire “Je t’aime” à mes amis. »
Avec la découverte de Fegan, des peurs bien réelles pour leur sécurité sont apparues, rendant évident que des changements s’imposaient.
« Je pense que l’attrait de la pop et du grand public, c’était qu’il nous donnait une excuse pour mettre un peu plus de distance entre nous et certaines attentes de la scène où nous étions. Des attentes comme celles de traîner avec nos fans, d’être leurs amies, de rester devant la salle après un concert pour discuter avec eux. Je crois qu’il y avait un certain soulagement à savoir que plus on devenait populaires, plus il était déraisonnable de penser qu’on pouvait continuer à faire ces choses. Donc, d’une certaine manière, ça a eu l’effet inverse de ce qu’on aurait pu croire, » raconte Sara.
Bien que tant de choses aient changé au cours de leurs plus de 20 ans de carrière, Tegan et Sara restent les artistes talentueuses, authentiques et charismatiques qui ont inspiré une fanbase frénétique dès le début. Elles parlent franchement des hauts et des bas de la célébrité, sans jamais nourrir de rancune envers les fans sincères qui ont soutenu leurs projets et évolutions, qu’il s’agisse de passer du temps aux stands de merchandising ou de plonger dans l’électropop. La plupart des fans, ajoutent-elles, les ont soutenues avec une distance respectueuse.
« Dans le film, on parle du tournant qui s’est produit à cette époque, mais je ne pense pas que ce soit uniquement lié à Faux Tegan, » souligne Tegan. « Quand on a terminé Heartthrob et sorti notre prochain album pop, on avait 35 ans. Genre, on était aussi juste crevées, » dit-elle en riant. « Je crois qu’on a commencé à réfléchir à notre vie, à l’espace public, à la mortalité, à la construction d’une famille. Tu sais, je ne veux pas passer ma vie dans un bus avec ma sœur à manger du McDonald’s tous les jours. »
Depuis la découverte de Fegan, Tegan et Sara ont sorti plusieurs albums, supervisé une série télévisée réalisée par Clea DuVall et basée sur leurs mémoires High School, et publié une série de livres jeunesse, comprenant Junior High et le tout récent Crush.
« Nous voulons créer. Nous sommes constamment en train de produire des choses, mais Sara a un enfant et une partenaire avec qui elle est depuis longtemps. De mon côté, je suis avec ma compagne depuis presque dix ans, et j’ai envie d’être près d’elle. J’essaie de réfléchir à la notion d’héritage d’une manière différente. Nous avons notre fondation, nous adorons écrire des livres. Nos parents vieillissent, nos amis vieillissent, comme nous vieillissons, » dit Tegan, énumérant leurs priorités croissantes avec un mélange d'humour nerveux et de sincérité. « J’ai l’impression de vouloir vivre d’autres expériences. Je veux savoir ce qu’est la vie en dehors du fait d’être dans un groupe et sous les projecteurs. »
Bien que le documentaire se concentre principalement sur l’impact de Fegan sur Tegan, Sara et les victimes, il offre également une réflexion plus large sur ce que signifie être fan. À une époque où nous avons plus d’accès que jamais à nos célébrités préférées via les réseaux sociaux, le film examine l’effet de la célébrité sur celles et ceux qui la vivent et invite à réfléchir sur ce qu’il est raisonnable d’attendre des artistes que nous admirons.
« Cela a vraiment influencé ma façon d’aborder notre carrière et ma perception de la célébrité, » confie Sara. « Cela a aussi modifié mon ressenti à l’égard de notre fanbase en général. Ça va paraître un peu dérangé, mais je suis presque contente que nous ayons maintenant un contexte et que cela soit arrivé à d’autres personnes, parce que A) je me sens moins seule, et B) on peut en parler dans un cadre familier. C’était cathartique. »
Dans un registre beaucoup plus léger, mais non sans lien, les sœurs ont récemment publié leur dernier roman graphique, Crush, le deuxième d’une duologie. En collaboration avec l’illustratrice Tillie Walden, elles retracent une version romancée de leur expérience au collège, explorant les hauts et les bas de leur tumultueuse année de 4e. Ce livre aborde avec finesse les émotions complexes de cette période de la vie à travers le prisme du coming out et des débuts de leur carrière musicale.
Crush est une lecture captivante, sublimée par de magnifiques illustrations qui donnent vie à l’histoire.
« Une chose qui s’est produite dans notre vie réelle et que nous avons transposée dans ce livre, c’est que lorsque nos parents ont vu que nous avions un vrai potentiel, au lieu d’accélérer, ils ont appuyé sur le frein. Ils nous ont dit : “Ralentissez, finissez l’école. Cela sera encore là plus tard.” Et cet instinct de créer des limites tout en nous soutenant pour les gérer a eu un effet profond sur notre carrière et notre vie, » raconte Sara, en référence à un thème similaire du livre où les jeunes Tegan et Sara doivent faire face aux attentes d’un nouveau manager et à leur carrière musicale naissante.
« Si vous écoutez votre instinct et qu’il vous dit que quelque chose ne va pas, c’est probablement le mauvais moment. Tegan et moi gardons les pieds sur terre. Et comme nous n’avons jamais vu notre valeur liée à nos corps, notre célébrité ou notre succès, nous avons pu refuser des opportunités et des situations qui auraient pu nous rendre plus célèbres. À la place, nous avons choisi ce qui nous faisait du bien, » ajoute Sara à propos de leur carrière de plusieurs décennies.
Alors qu’elles continuent à naviguer dans ce chapitre de leur vie, une chose est claire : elles savent qui elles sont et ce qui compte pour elles. Des stands de merchandising et des bus de tournée aux Oscars, en passant par tout ce qu’il y a entre les deux, Tegan et Sara restent les icônes queer que nous avons toujours adorées. Mais évitez de devenir étranges à ce sujet.
Fanatical: The Catfishing of Tegan and Sara est désormais disponible sur Hulu. Crush est également en librairie.
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Amélie N.
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