Coup d’éclat propalestinien au défilé de la Fierté : manifestation ou instrumentalisation ?

Le défilé de la Fierté Montréal, événement festif et politique majeur pour les communautés LGBTQ+, a été marqué cette année par une interruption inattendue. Dimanche 11 août 2024, en plein cœur du cortège, un groupe de manifestants propalestiniens a stoppé la marche pendant plus de trente minutes, brandissant pancartes et slogans pour dénoncer ce qu’ils nomment un « génocide » en cours dans la bande de Gaza.

Leur cri de ralliement, « Pas de fierté face au génocide », a été scandé alors qu’ils remontaient à contre-courant du défilé, coupant temporairement la progression des autres contingents. Si l’action a suscité quelques applaudissements, elle a aussi provoqué des huées, des regards perplexes, et des tensions visibles dans la foule.

Un défilé détourné

La scène, largement relayée sur les réseaux sociaux, a mis en lumière la fracture croissante entre certains groupes militants et le reste de la communauté LGBTQ+. L’organisation Helem Montréal, représentant des personnes LGBTQ2+ arabes, a précisé ne pas avoir organisé la perturbation, bien que les manifestants aient initialement défilé à leurs côtés. Dans une publication antérieure, Helem avait pourtant formulé des exigences politiques fermes à l’attention de Fierté Montréal, dont la rupture des partenariats avec des entreprises qualifiées de « complices du génocide ».

Cette pression n’est pas isolée. Depuis plusieurs mois, certains collectifs réclament des prises de position explicites, non seulement sur la situation au Proche-Orient, mais aussi sur de nombreux enjeux géopolitiques ou idéologiques, qu’ils jugent indissociables des luttes LGBTQ+. La direction de Fierté Montréal, de son côté, a rappelé que « la Fierté est un espace de manifestation », mais que l’événement doit rester pacifique et inclusif pour tous.

Fierté ou convergence idéologique ?

L’incident soulève une question devenue récurrente : peut-on encore célébrer la diversité sans adopter un agenda politique élargi, souvent polarisant ? De nombreux observateurs s’inquiètent de voir les Prides se transformer en scènes de tensions idéologiques, où certaines causes seraient rendues obligatoires, d’autres disqualifiées.

Le soutien à la cause palestinienne, devenu pour certains un critère d’alignement moral, divise profondément. Des participantes brandissant des drapeaux israéliens ont été confrontées à une hostilité directe, tandis que certaines voix dans la foule s’interrogeaient sur la légitimité du blocage : « Je pense que leur message aurait eu plus de portée s’ils avaient marché dans le même sens que tout le monde », confiait une spectatrice.

Des témoignages qui rappellent l’essentiel

Malgré cette interruption, la majorité du défilé s’est déroulée dans une ambiance joyeuse, familiale et engagée. Des figures politiques comme Valérie Plante, Manon Massé ou Jagmeet Singh étaient présentes. D’autres, comme la militante trans Céleste Trianon ou la famille Belinga-Fillion, ont rappelé les combats encore bien réels pour la reconnaissance, la sécurité et l’égalité.

Ces voix ont contrasté avec la théâtralisation plus conflictuelle de certains segments militants. Une jeune manifestante affirmait que « la liberté et les droits de tout le monde sont interconnectés ». Un principe louable, certes, mais qui pose une question fondamentale : comment concilier universalité des luttes et respect de la spécificité des causes, sans hiérarchiser les souffrances ni instrumentaliser des espaces qui étaient à l’origine pensés pour tous ?

Une ligne de crête

Ce qui devait être une journée de visibilité pour les droits LGBTQ+ est devenu, l’espace d’un moment, le théâtre d’un affrontement politique complexe. Un reflet, peut-être, d’un malaise plus large dans les mouvements militants contemporains : la difficulté à fédérer sans exclure, à résister sans se radicaliser, à lutter sans diviser.

Fierté Montréal a repris sa marche. Mais le débat, lui, est loin d’être clos.

Pour participer au Mag, lisez cet article